Les grenades de Mitrovica

Cela fait maintenant quatre jours que je suis arrivé à Kosovska Mitrovica au Kosovo.

Mitrovica est lune de ces villes chaudes tout droit sortie dun film de James Bond. On peut y rencontrer au même moment au café du coin un agent de la CIA, des soldats de lOTAN, des « interprètes » chargés de faire du renseignement pour les troupes françaises et des gardiens du pont (moment véritablement vécu). Tout cela nest pas surprenant lorsque lon connaît les enjeux énormes qui se jouent au Kosovo. Enjeux ethnico-religieux certes, comme il y en a de plus en plus à travers le monde, mais enjeux qui peuvent aussi sanalyser dun point de vue géostratégique (1). Limportance géopolitique de la région est telle que Russie et Chine, à seule fin de nuire aux intérêts américains qui oeuvrent pour un Kosovo indépendant, menacent duser de leur droit de veto au conseil de sécurité de lONU. LUnion Européenne quant à elle, préfère rester muette au lieu dassumer son rôle logique de défense du territoire européen. Car ce nest pas seulement la Serbie qui va être pénalisée si le Kosovo devenait indépendant mais bien lEurope. Le Kosovo indépendant, prémices dune grande Albanie musulmane, relié à la Bosnie par le Sandjak, est la clé de la formation dune « diagonale verte », véritable poignard tourné contre lEurope, zone de déstabilisation pour les Balkans et in fine pour tout le continent européen.

Depuis mon arrivée ici, je ressens une ambiance beaucoup plus tendue que lors de mon précédent voyage au mois de décembre. Avec quelques camarades de lassociation Solidarité Kosovo nous étions alors venus apporter jouets et réconforts aux enfants des enclaves serbes. Aujourdhui, les explosions de grenades quon entend régulièrement annoncent une décision prochaine sur le statut définitif du Kosovo et laissent craindre le pire dans un futur immédiat. Les barbelés sont de nouveaux prêts à lemploi et les forces internationales sont sur le « qui vive ». Malgré cela, la population reste souriante et chaleureuse. On peut voir les enfants jouer aux voitures sur la place située en face du pont, des hommes aller au café et des jeunes étudiants faire la fête. Pourtant, chacun dentre eux a une histoire pleine de tragédie à raconter. Un garçon dune vingtaine dannées vient discuter avec moi voyant que jétais français. Nous sympathisons autour dun café et japprends quil est originaire dune enclave serbe située à coté de Pristina. Je lui demande innocemment combien de personnes y vivent. Il me répond que personne ny vit depuis le 17 mars 2004. Son village comme beaucoup dautres à cette période a été rasé, et ses habitants chassés. Depuis, il vit ici à Mitrovica avec sa famille.

Pères assassinés, églises brûlées et maisons « expropriées » sont monnaies courantes pour les Serbes des enclaves. Je sens malgré tout une rage de vivre en chacun deux, et une envie de rester sur cette terre qui a été le bastion de la nation serbe. « Ne damo Kosovo », « nous ne donnons pas le Kosovo » peut-on voir lire sur les murs de la ville. Comment ne pas être solidaire ?

 Je compte donc sur chaque personne qui lit ce texte pour raconter ce qui se passe ici au Kosovo.

Arnaud Gouillon

(1) lire à ce sujet lexcellent livre dAlexandre Del Valle : guerre contre lEurope

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