Interview d’Arnaud Gouillon pour le National Catholic Register

Arnaud Gouillon, Président de Solidarité Kosovo, a été interviewé par le National Catholic Register, le plus ancien journal catholique des États-Unis. Voici la traduction en français de son entretien.

Un entretien de Solène Tadié, pour le National Catholic Register.

La persécution silencieuse
des chrétiens au Kosovo

Arnaud Gouillon, humanitaire chrétien français récemment nommé secrétaire d’État à la diaspora par le gouvernement serbe, nous parle de la situation damatique de la communité serbe orthodoxe du Kosovo et de pourquoi leur disparition de cette région serait un signal terrible pour l’ensemble de la chrétienté.

Les Serbes chrétiens du Kosovo subissent des persécutions graves et presque systématiques depuis les années 1990 dans le contexte des guerres yougoslaves (1991-2001), en particulier depuis la guerre du Kosovo en 1999.

Situé au centre des Balkans dans le sud-est de l’Europe et bordé par la Serbie, l’Albanie, le Monténégro et la Macédoine, le Kosovo a longtemps été un territoire contesté, pour des raisons ethniques, religieuses et culturelles.

Lorsque le Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance de la Serbie en 2008, 100 000 à 150 000 Serbes – dont la plupart sont chrétiens orthodoxes – ont choisi de rester sur cette terre, qu’ils considèrent comme le berceau de leur culture et de leur foi, malgré le contexte économique difficile et la difficile coexistence avec la majorité musulmane albanaise représentant 90% de la population.

Les chrétiens, majoritaires sur ce territoire pendant des siècles, ne représentent aujourd’hui qu’environ 6% de l’ensemble de la population. Pourtant, cette terre concentre encore une partie impressionnante du patrimoine orthodoxe, ainsi que les plus anciens monastères de Serbie.

Alors que les persécutions contre la minorité chrétienne du Kosovo a continué dans le silence durant ces 20 dernières années, depuis que la Serbie a perdu le contrôle du territoire, la violence contre les Serbes a atteint son apogée avec les pogroms de mars 2004, au cours desquels 935 maisons et une trentaine d’églises et monastères orthodoxes ont été incendiés, forçant environ 4 000 Serbes à fuir leurs terres.

C’est dans ce contexte qu’Arnaud Gouillon, citoyen français de 19 ans à l’époque, a décidé de fonder l’ONG Solidarité Kosovo, afin de venir en aide aux familles qui y vivent dans des enclaves chrétiennes. Avec le soutien de plus de 12000 donateurs de toute la France, l’association a permis de scolariser des centaines d’enfants au fil des ans, ainsi que de fournir 400 tonnes de nourriture et de vêtements aux villages chrétiens, qui ont un accès très restreint au marché du travail et aux services publics en raison du contexte politique sensible.

L’engagement inlassable de Gouillon en faveur des Serbes chrétiens du Kosovo lui a valu une renommée remarquable parmi la population serbe et les autorités religieuses. En effet, la presse nationale l’a classé parmi les 20 personnes les plus populaires de Serbie en 2015, aux côtés du célèbre joueur de tennis Novak Djokovic. Il a également reçu plusieurs distinctions nationales prestigieuses, dont l’Ordre de Saint-Sava, la plus haute distinction de l’Église orthodoxe serbe, qu’il a reçue du patriarche Irénée en 2018. Aujourd’hui âgé de 34 ans et naturalisé serbe depuis 2015, il était récemment nommé secrétaire d’État chargé de la diaspora dans le gouvernement serbe en novembre dernier.

Tout en évoquant son parcours singulier dans cet entretien avec le Registre, Gouillon a mis en évidence les enjeux de la survie de cette présence chrétienne au Kosovo. Leur disparition d’une telle terre historique serait sans précédent dans l’histoire de l’évangélisation de l’Europe.

Pourquoi avoir fondé Solidarité Kosovo en 2004 ?

À l’époque, devant ma télévision, en France, j’avais été terriblement ému par les pogroms antichrétiens menés contre les populations serbes du Kosovo par les extrémistes albanais. Les églises et les villages brûlaient… C’était horrible. Au lieu de rester impuissant, j’ai décidé d’agir. J’avais alors 19 ans. Avec mon frère et quelques amis, nous avons organisé un convoi de Noël, pour apporter des jouets aux enfants. Seize ans plus tard, Solidarité Kosovo est le premier acteur humanitaire de la région. Nous finançons des projets de long terme pour permettre aux habitants des enclaves serbes de survivre en autarcie (fermes, écoles…), tout en maintenant le symbolique convoi de Noël ! 

Les volontaires de Solidarité Kosovo dans une enclave serbe, pendant le convoi de Noël 2020.

Pourquoi avez été interdit de séjour au Kosovo en 2018 ? 

Je ne l’ai jamais su de manière officielle. Officieusement, c’est sans doute parce que mes actions humanitaires au service d’une minorité opprimée dérangeaient certaines personnes… Même aujourd’hui, je n’ai pas l’immunité diplomatique, car la plupart des officiels serbes sont interdits de séjour au Kosovo ! 

Quel était le but de votre levée de fonds en mars dernier ? 

Il s’agissait d’une aide d’urgence pour faire face aux conséquences du Covid-19. Au delà de la maladie elle-même, le confinement a eu des effets destructeurs. Économiquement, les plus pauvres ont été particulièrement touchés à cause des pertes d’emplois, de l’absence d’aide sociale… Avec l’arrivée du printemps, mars est aussi le mois où on lance les chantiers agricoles. Là, tout était paralysé. Outre la crise sanitaire, nous risquions une grave crise alimentaire.

Moralement, pour les Serbes du Kosovo, déjà isolés dans leurs enclaves toute l’année, s’ajoutait l’assignation à domicile : un double enfermement !

En 2018, Solidarité Kosovo a fourni du matériel médical à l’un des dispensaires des enclaves serbes du Kosovo, qui manquaient de quoi faire face à la pandémie de Covid-19.

Et sur le plan médical, il faut savoir que les chrétiens serbes sont exclus du système de santé du Kosovo. Ils ne peuvent aller que dans un hôpital serbe, au nord de la province et dans un autre, au sud, où il n’y a que deux respirateurs. Pour toutes ces raisons, il était vital de déclencher une opération d’urgence.

Quelle est la situation des chrétiens du Kosovo actuellement ?

Extrêmement difficile. Les Serbes, qui étaient la population d’origine du Kosovo, ont subi une lente épuration ethnique qui s’est précipitée depuis la guerre de 1999. 

Aujourd’hui, ils sont à peine plus de 100 000. Ils vivent dans des enclaves (une rue, un quartier, un village…) qui sont des prisons à ciel ouvert desquelles ils ne peuvent sortir sans risquer l’accrochage. Ils sont régulièrement attaqués, tabassés, pillés, poussés au départ. Ils vivent dans une grande pauvreté, sont systématiquement discriminés, leurs écoles sont laissées à l’abandon… Ils sont condamnés à une forme d’autarcie. L’objectif de nombreux radicaux est d’éradiquer la présence serbe et chrétienne du Kosovo. D’où l’importance d’assurer leur autonomie et leur sécurité. 

Je me souviens d’un couple qui, à son troisième cambriolage, avait trouvé, en évidence, une boite de mort aux rats sur la table de la cuisine. C’était le dernier avertissement… 

Pensez-vous que cette hostilité soit toujours fondamentalement religieuse ? 

Au Kosovo, les problématiques ethniques et religieuses sont mêlées. Il y a ainsi une haine du Slave qui touche les Serbes, mais aussi le peuple gorani, pourtant musulman, au sud du Kosovo. Solidarité Kosovo leur vient d’ailleurs en aide. 

« Le Califat arrive », tag retrouvé sur la muraille de protection du monastère de Visoki Decani.

À quoi s’ajoutent des pogroms antichrétiens et la destruction ciblée de 150 églises ou monastères ces vingt dernières années. Nous soutenons notamment le monastère de Visoki Decani, régulièrement pris pour cibles par des terroristes islamistes mais aussi par des médias et hommes politiques albanais du Kosovo. Il a été attaqué au lance-roquette, souillé par un tag disant « Le califat arrive ». En 2016, les forces de l’OTAN ont stoppé quatre djihadistes armés de kalachnikovs devant la porte du monastère. Ils ont d’ailleurs été filmés par les caméras de surveillance dont nous avons équipé le monastère. Nous avons aussi construit un sas de sécurité, en pierre traditionnelle, avec des grilles en fer. Nous espérons toujours l’arrivée, un jour ou l’autre, d’une cohabitation pacifique, car la majorité des Albanais sont modérés. Mais les extrémistes sont très puissants et les condamnations internationales de leurs abus bien rares. 

Vous avez participé au documentaire « Kosovo, une chrétienté en péril ». Que représente cette présence chrétienne dans la région, quelles seraient les conséquences de sa disparition ? 

Pour la première fois depuis l’évangélisation de notre continent, des chrétiens disparaîtraient d’une terre européenne. C’est sans précédent. Un signe terrible pour la civilisation européenne, qui ne doit pas advenir.

Culturellement, la destruction du patrimoine serbe et orthodoxe du Kosovo, classé au patrimoine de l’UNESCO, serait une perte inestimable pour l’humanité, car il est universel, comme l’étaient les bouddhas de Bamyan ou les vestiges de Palmyre. 

Quelles sont vos relations avec les autorités religieuses orthodoxes de la région?

Excellentes. La plupart de nos projets sont réalisés en partenariat avec le diocèse du Kosovo-Métochie. J’ai reçu l’ordre de Saint-Sava, plus haute distinction de l’Eglise orthodoxe serbe, reçue en mains propres des mains du patriarche Irénée. J’ai été très affecté par sa mort, cette année, car je le connaissais et le respectais. 

D’où vous vient cette affection particulière pour la Serbie ? 

La vieille amitié franco-serbe, qui remonte aux années 1870, est très vivace dans ma famille. Pour mon grand-père et mon père, elle s’est renforcée avec les deux guerres mondiales. Me concernant, quand l’OTAN a bombardé la Serbie, j’ai vécu cela comme une injustice. Voir ce pays seul contre tous me révoltait. Je voulais être du côté du faible qui se fait attaquer sur sa propre terre, contre les puissants qui martyrisaient et humiliaient un peuple. Évidemment je n’imaginais pas que plus tard, j’irai vivre en Serbie, que j’obtiendrai la nationalité et serai nommé à un haut poste par le gouvernement…

Que signifie pour vous cette nomination au gouvernement serbe ? 

C’est bien sûr une grande distinction pour moi, mais c’est surtout une reconnaissance pour tous ceux qui ont aidé Solidarité Kosovo depuis seize ans. Je pense à un retraité qui économisait sur ses cigarettes pour faire un don à plus pauvres que lui ; aux bénévoles qui m’accompagnent sur les routes dangereuses et qui se dévouent sans compter ; à tous les Serbes du Kosovo qui ont trouvé la force de survivre, de témoigner malgré les persécutions. Ma nomination par le gouvernement symbolise vraiment la reconnaissance de cet effort collectif. Je n’aurais rien fait sans eux. 

Jusqu’à présent mon énergie était tournée vers l’humanitaire. Aujourd’hui, je peux me mettre au service de tous les Serbes de la diaspora. Travailler pour bâtir des ponts, des traits d’union, entre leur pays d’origine et leurs pays d’accueil. Les Serbes sont travailleurs, intelligents, respectueux : je veux les aider à offrir tout leur potentiel là où ils se trouvent, n’importe où dans le monde.

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