Normalement, nous aurions dû vous partager ce compte-rendu au milieu de la classe de mer, c’est-à-dire mardi 7 août dans l’après-midi. Mais il se trouve que mardi 7 août dans l’après-midi, nous étions au beau milieu des montagnes, à une vingtaine de kilomètres au Nord de Tivat, au bord d’un lac aux eaux claires coincé entre les pics rocheux. Faut-il le préciser ? Internet ne passait pas… De retour à l’hôtel, nous prenons donc enfin le temps de vous donner des nouvelles, après une bonne nuit de repos.
Un repos bien mérité : lundi et mardi furent sans conteste les deux sommets de ce séjour. Dimanche avait été une journée à la plage comme les précédentes, marquée seulement par une chaleur particulièrement élevée qui a poussé un à un les enfants, lors de la baignade de fin d’après-midi, à abandonner la mer pour la piscine de l’hôtel, qui présente l’avantage non négligeable d’être à l’ombre. D’habitude si tranquille, puisque fréquentée principalement par des personnes âgées, la petite piscine ronde fut rapidement remplie d’un bouillonnement d’enfants agissant exactement comme s’ils avaient encore la mer entière à leur disposition.
Lundi matin, on notait que la plupart des enfants qui les premiers jours s’avançaient dans l’eau avec des précautions de funambules y courraient maintenant comme tous les autres, s’arrosant avec le même enthousiasme.
Pendant le déjeuner, Arnaud annonça qu’on partirait en fin d’après-midi, après le temps de repos et quelques jeux, faire un tour en bateau sur la baie de Kotor. On se dirigea donc à l’heure dite vers le village voisin de Donja Lastva, dont on aperçoit, depuis la plage de l’hôtel, la jolie église. C’est au pied de celle-ci qu’on vit arriver le bateau qui allait nous emmener. Et quelle surprise : au lieu d’un de ces petits bateau-taxis qu’on voit régulièrement faire la navette d’un bout à l’autre de la baie, c’est un énorme bateau-mouche qui se présenta devant nous. Un bateau-mouche venu prendre ici sa retraite après avoir monté et descendu la Seine pendant des années : son nouveau propriétaire, un marin de la région, raconte avec fierté l’avoir amené lui-même de Paris à la baie de Kotor par la mer, ce qui implique tout de même de contourner la Bretagne, l’Espagne puis l’Italie et de naviguer sur l’océan Atlantique, la Méditerranée et l’Adriatique.
Un bel exemple de foi et de persévérance
C’est donc sur un bateau typiquement parisien que 40 enfants des enclaves chrétiennes du Kosovo – qui tous ont les yeux qui brillent quand vous leur faites comprendre que vous venez de « près de Paris » – ont parcouru plus de deux heures durant la sublime baie de Kotor.
Ce furent deux heures de ravissements successifs : chaque village qui borde la baie est plus joli que le précédent, chaque montagne plus impressionnante, chaque courant dans la mer plus bleu. Au beau milieu de la baie, le sommet de la croisière est sans aucun doute le contournement de l’église Notre-Dame du Rocher, jolie église posée sur une île que les marins de la baie ont mis plus d’un siècle à faire émerger de l’eau, suite à la découverte d’une image de la vierge sur quelques récifs qui se trouvaient là. Pendant un siècle, chaque bateau qui menaçait ruine était empli de cailloux et coulé sur le récif, chaque pêcheur prenant la mer emportait un panier de gravats qu’il jetait à l’emplacement de la future île. Quelle foi, quelle persévérance, génération après génération ! Aujourd’hui, l’église Notre-Dame du Rocher protège les nombreux navires de toutes tailles qui croisent dans la baie et émerveille de nombreux touristes et pèlerins.
Cette traversée fut aussi une belle occasion pour les enfants d’approfondir leurs amitiés naissantes, par petits groupes se faisant et se défaisant dans tous les coins de l’immense bateau-mouche dont nous étions les seuls passagers.
Le lendemain en début d’après-midi, nous avons eu l’occasion de revoir ces mêmes endroits sous un autre angle : d’en haut. En effet, juste après le déjeuner nous avons pris un car pour nous rendre dans l’arrière-pays de Kotor, dans les montages du Nord. Le trajet nous a fait prendre une longue route à flanc de montagne que nous avions pu voir la veille depuis notre bateau-mouche. Par les fenêtres du car, nous avons à nouveau pu admirer la beauté incroyable de cette baie, des montagnes qui l’entourent, des villages tapis au bord de l’eau au pied de ces immenses amas de roche. Et au milieu, Notre-Dame du rocher, entourée d’une eau bleu vif et de navires lui faisant une auréole d’écume.
Quelques heures hors du monde
Puis on s’enfonça dans les montagnes pendant près d’une demi-heure, chaque intersection nous faisant emprunter une route un peu plus petite, jusqu’à ce que sous nos roues ne se trouvent plus qu’un chemin de terre et de cailloux, au bout duquel le car s’arrêta. En petits groupes bruyants de rires et de chansons, les enfants s’enfoncèrent dans l’ombre d’une belle forêt de pins, où un vent presque frais envoyait à nos narines une odeur de sous-bois et de résine chaude.
Après une dizaine de minutes de marche sur le chemin qui grimpait entre les arbres, nous sommes arrivés soudainement au bord d’un lac. D’un côté, un grand barrage en arc de cercle, partout ailleurs des rochers décharnés lancés vers le ciel. Et sur l’eau transparente du lac, un vieux pédalo dont on se demande encore comment il a pu arriver là. Une famille était déjà là, qui nous attendait : une table était dressée, couverte de bouteilles de jus de fruit, et sur un barbecue grillaient quelques pièces de viande pour le goûter. L’odeur de la viande cuite se mélangeait à celle de la résine chaude, l’ensemble étant adouci par la fraîcheur montant de l’eau. Dans les pins et les herbes, les grillons chantaient les louanges du soleil.
Les enfants eurent vite fait de se mettre en maillot et de plonger à l’eau, précédés par quelques grenouilles surprises dans leur sieste et plongeant rapidement à l’abri. D’autres préférèrent traverser le barrage et grimper quelques rochers, découvrant alors une vue grandiose non seulement sur le lac entier mais aussi sur une bonne partie de la région et à l’horizon, vers le Sud, devinable à la clarté du ciel, la mer que nous venions de quitter.
Nous passâmes là quelques heures, nos yeux – pourtant déjà habitués à la beauté depuis quatre jours que nous étions à Tivat – se rassasiant de ce paysage incroyable, à la fois très rude et très paisible.
Dans le car, au retour, les ronflements le disputèrent aux chansons. Quelques-uns, silencieux, le nez collé à la vitre, profitèrent une seconde fois de la vue plongeante sur la baie.
Le soir, tout le monde alla se coucher avant que l’heure fut venue. Il ne fait pas de doute que les rêves furent peuplés de paysages grandioses, de montagnes dressées vers le ciel, de vols au-dessus des océans infinis. Et au matin du mercredi 8 août, certains avaient encore les yeux qui brillaient au-dessus de leur petit-déjeuner.
Voilà deux jours que ces enfants n’oublieront pas de sitôt.