Le convoi de Noël, contre vents et marées

Finalement, le 19e convoi de Noël a eu lieu, au grand soulagement des habitants des enclaves. Malgré les tensions à leur comble avec l’administration albanaise de Pristina et les barricades érigées au nord par les Serbes pour s’en protéger, Solidarité Kosovo a tenu à maintenir ce rendez-vous annuel très attendu.

C’est dans ce contexte de crise qu’une équipe de 9 volontaires s’est lancée dans l’aventure du 26 décembre 2022 au 3 janvier 2023. Ils auront parcouru la province de long en large pour livrer 12 tonnes d’aide humanitaire d’une valeur dépassant les 90 000 euros. En plus de vêtements chauds et de chaussures neuves, des jouets pour les enfants, des fournitures scolaires et des poêles à bois, des troupeaux d’animaux ont été distribués pour favoriser l’élevage familial. Au total, 48 chèvres, 40 moutons et 5 vaches ont été remis aux familles les plus démunies du Kosovo-Métochie.

Solidarité Kosovo vous invite à plonger dans le quotidien de ce convoi pas comme les autres grâce au témoignage touchant de Sterenn. Elle raconte l’expérience incroyablement humaine, hautement saisissante et enrichissante qu’elle a partagée avec huit autres volontaires, Diane, Solenn, Aleksandra, George, Henri, François-Marie, Andreï et Mladen.

« Ça chauffe en ce moment au Kosovo, tu pars quand même ? » Voilà la question inquiète du père d’une volontaire, quelques jours avant le départ. Alors qu’en France nous préparions les festivités de Noël, les Serbes du nord du Kosovo dressaient des barricades pour empêcher les forces spéciales kosovares de sévir à Mitrovica. Mais pour les volontaires, pas question de manquer le rendez-vous ! Le 26 décembre, nous prenons donc l’avion depuis les quatre coins de la France pour rejoindre le chef de convoi qui nous attend pour traverser la Serbie jusqu’au sud.

Pour les sept nouveaux, c’est l’aventure qui commence car la plupart ne sont jamais venus en Serbie.

Durant les six heures de trajet, le chef de convoi rappelle les consignes de sécurité et nous met au courant du programme de la semaine. Il nous apprend également que la veille de notre arrivée, le Patriarche de l’Église orthodoxe serbe, sa Sainteté Prophyre, a été interdit d’entrer au Kosovo, comme Arnaud Gouillon en 2018. Nous avons conscience que tout peut arriver au poste administratif de Merdare, alors on se prépare pour le pire en espérant le meilleur. Rarement un convoi a passé les contrôles aussi vite ! Milovan, du bureau humanitaire, qui était venu à notre rencontre en cas de problème nous guide jusqu’à Gracanica, le point de base de toutes les opérations.

Arrivés au konak, l’auberge, nous partageons un repas traditionnel fait de viandes grillées et de salade d’hiver, avec bien sûr de la rakija et une pogaca, ce pain que l’on coupe en suivant un rituel bien précis. Il faut prendre des forces car la journée du lendemain sera chargée !

Prendre le rythme

À neuf heures, nous sommes devant l’entrepôt de Gracanica, là où sont stockés les cartons de vêtements, chaussures et de jouets récoltés auprès d’entreprises françaises et livrés quelques semaines plus tôt. Nous y retrouvons le père Serdjan, Slavko, Marko, les volontaires serbes. Pour les uns, ce sont de chaleureuses retrouvailles, pour les autres de nouvelles rencontres ; mais il n’y a pas de temps à perdre, Milovan donne les directives : il faut charger le nécessaire pour plus d’une centaine d’enfants ainsi que de robustes poêles à bois de fabrication serbe que nous offrirons à plusieurs familles. Très vite, notre groupe prend ses marques et organise efficacement le chargement. Le soleil se couche très tôt dans cette région et il faut profiter de tous les moments avant la nuit qui tombe dès 16 heures. Une fois les camions pleins, nous prenons la route de Strpce, dans le sud du Kosovo. En nous éloignant, nous pouvons voir que la grande plaine qui entoure Pristina est noyée dans un nuage gris de pollution qui se fond dans le ciel bleu. Sa centrale à charbon en fait la ville la plus polluée d’Europe. À l’horizon se dessinent les montagnes aux cimes enneigées, près de la Macédoine.

Premier arrêt, nous déchargeons et disposons les cartons devant la première école. Le directeur nous prévient : il y a plus d’une centaine d’enfants. Il faut sortir les petites tailles d’abord, pour les classes les plus jeunes qui forment déjà une longue file. Les élèves plus âgés sont en cours, mais de temps en temps un visage curieux surveille ce qui se passe à l’extérieur. Les uns après les autres, les enfants munis d’un sac reçoivent des vêtements, des chaussures, des jouets et des fournitures scolaires. Nous nous débrouillons comme nous pouvons pour demander la taille ou l’âge avec deux ou trois mots de serbe ou d’anglais. Régulièrement les serbophones viennent à la rescousse pour traduire la bonne pointure ou des mots de remerciement.

Une fois la distribution achevée et les cartons remballés, les nouveaux volontaires découvrent le plaisir de partager un café et une rakija, de l’eau-de-vie, avec nos hôtes. L’occasion pour ces derniers de nous faire part des difficultés du quotidien dans leur village.

Puis nous repartons à quelques kilomètres de là, dans une autre école, moins grande, avec des élèves plus jeunes. Pour eux nous descendons un énorme carton de jouets et jeux en tout genre. Avant de repartir, une jeune fille nous dit quelques mots en anglais, brisant la barrière de la langue : « Merci de votre aide, vous êtes des gens bien. » Que lui répondre à part que leur courage et leur résilience sont pour nous une source de motivation autant qu’un exemple à suivre.

Cette première journée s’achève par la livraison de deux poêles à bois à plusieurs familles de la région. En Serbie en général et à la campagne en particulier, le poêle à bois est le cœur du foyer. Il sert à la fois à chauffer la maison et à cuisiner. D’ailleurs, un proverbe serbe dit que lorsque l’on déménage, c’est la dernière chose que l’on retire.

Course poursuite dans la montagne

Pour la deuxième journée, nous nous rendons à l’est du Kosovo, près de Kamenica où officie le père Serdjan. Nous y offrirons nos habituels cadeaux aux enfants et nous remettrons également du bétail à quelques familles. Le premier arrêt se fait dans la cour d’une maison où nous avons rejoint des employés du complexe agricole de Novo Brdo, financé par Solidarité Kosovo. Sous le regard émerveillé du fils aîné, une vache de belle taille descend du camion. Elle est stressée, mais les bons soins qui lui sont prodigués la rassurent et elle se laisse conduire à l’étable. Pour sa nouvelle famille, son arrivée leur permettra de gagner en autonomie alimentaire car elle leur donnera du lait pour faire du fromage ou du kajmak, un mets délicieux entre le beurre et le fromage.

Nous nous rendons ensuite dans une école primaire où nous sommes attendus de pied ferme. Située sur une hauteur, on aperçoit d’en bas deux petits garçons qui accourent à notre arrivée avant de prévenir la directrice. Notre équipe est désormais bien rodée et les cartons s’alignent au pied du camion. Le père Serdjan donne les consignes aux enfants qui, le sourire aux lèvres et les yeux qui pétillent, attendent sagement leur tour. Ils reviennent les bras chargés de manteaux, chaussures et jouets qu’ils sont impatients de déballer. Les professeurs en rappellent certains à l’ordre : d’abord la traditionnelle photo de groupe, ensuite ils pourront examiner leurs cadeaux de plus près. Après un café, nous déposons quelques cartons supplémentaires pour la crèche avant de repartir livrer un poêle à une famille un peu plus loin. Nous sommes reçus par le père qui élève seul ses trois garçons, de solides gaillards au regard franc. Nous ne pouvons pas refuser un verre de rakija avant de repartir, dans un collège/lycée.

Nous déchargeons les camions sur le terrain de sport et plus d’une centaine d’élèves se presse, classe par classe, de venir recevoir à leur tour des vêtements, des chaussures ou des fournitures scolaires. Au bout de quelque temps, quelle n’est pas notre surprise de voir trois soldats américains de la KFor assister sur le côté à la distribution. Les enfants repartent avec un grand sourire aux lèvres, disant « hvala » ou « merci ».

Nous terminons la journée dans un hameau dans les hauteurs où nous livrons une machine à laver à une famille où, une fois encore, le père élève seul ses cinq enfants dont le plus jeune est handicapé et a notamment besoin d’un lit spécial.

Nous leur apportons également des moutons. Mais si la vache en début de journée n’avait pas fait d’histoire, les ovins nous ont donné du fil à retordre ! Juste après être descendus du camion, une partie d’entre eux a pris la poudre d’escampette, donnant lieu à une course poursuite mémorable dans les collines.

Avant de rentrer à Gracanica, nous repassons par Kamenica où le père Serdjan nous fait les honneurs de son église. Construite sous domination ottomane, les bâtisseurs ont dû se conformer aux lois musulmanes. Ils ont notamment créé un espace séparé pour les femmes, situé en hauteur avec une claie pour les soustraire aux regards des hommes.

Retour à Visoki Decani

Pour la troisième journée, nous mettons le cap à l’ouest du Kosovo vers la Métochie, dont le nom signifie littéralement « terre des églises ». C’est là que se trouvent notamment le patriarcat de Pec et le monastère de Visoki Decani. Dans cette région, les Serbes sont encore plus minoritaires que dans le reste du Kosovo. On trouve encore plus qu’ailleurs des monuments à la gloire des terroristes de l’UÇK, d’immenses drapeaux albanais, américains ou kosovars qui flottent au vent.

Nous nous rendons dans trois enclaves particulièrement isolées : Banja, Suvo Grlo et Crkolez. Nous sommes accueillis par Pajo, un des plus vieux amis de Solidarité Kosovo. Il a appris le français au contact des soldats de la KFor en poste dans son village, ce qui lui a permis de servir de guide et d’interprète à Arnaud Gouillon lors des tout premiers convois de Noël. Il nous reçoit à déjeuner dans sa maison et, avant toute chose, nous nous prêtons à une tradition de bienvenue ancienne : la maîtresse de maison nous présente un plateau avec des verres d’eau et un pot de confiture. Chaque convive prend un verre et une cuillère de confiture. Une fois le rituel accompli et le bénédicité récité, le repas peut commencer !

Nous allons ensuite sur la place de chacun des trois villages pour procéder à la distribution. Tous les enfants nous attendaient avec impatience parce que si notre venue annonce des cadeaux, elle est surtout une occasion rare de rencontrer des gens en dehors de leurs enclaves. Et quel plaisir pour les plus anciens volontaires de reconnaître les jeunes d’une année à l’autre et de les voir grandir. Cela nous rappelle que le soutien que nous offrons n’est pas seulement matériel, il est aussi moral et fraternel. Nous sommes fiers de faire vivre ainsi l’amitié franco-serbe !

Nous terminons cette journée par la visite du monastère de Visoki Decani, toujours protégé par les soldats de la KFor. À cause du covid, nous n’avions pas pu y retourner depuis trois ans et si l’hôtellerie est toujours fermée, le père Petar nous a raconté la riche histoire des lieux et a ouvert le sarcophage du roi Stefan Decanski, le fondateur du monastère. Nous quittons la paix et la tranquillité de Decani pour regagner le konak et nous devons traverser la ville désormais entièrement albanaise dans une débauche de lumières et de drapeaux étrangers, un cruel contraste avec la pauvreté et la simplicité des enclaves dans lesquelles nous nous sommes rendus ce jour-là.

Un accueil traditionnel

Retour à l’est du Kosovo pour ce quatrième jour, direction Novo Brdo, là où se trouve le complexe agricole financé par Solidarité Kosovo pour permettre aux Serbes d’atteindre l’autonomie alimentaire. Cette politique est complétée par des actions directement auprès des familles, par le don de serres ou de bétail, comme lors de notre premier arrêt, où nous avons livré un petit troupeau de chèvres. Elles auraient bien voulu s’échapper comme les moutons deux jours plus tôt, mais c’était sans compter sur les deux bergers yougoslaves, une race de chiens élevée pour protéger les bêtes des attaques de loups et d’ours, et aujourd’hui des vols et des attaques perpétrées par les Albanais radicaux.

Ensuite, nous donnons à une autre famille une machine à laver. Sur le perron, trois générations de femmes nous accueillent avec dignité. En voyant les enfants s’avancer timidement, quelques volontaires retournent au camion chercher des vêtements et des jouets à leur offrir. Nous n’avons malheureusement pas le temps de nous attarder, nous sommes attendus à l’école de Novo Brdo.

Alors que nous garons les camions le long du bâtiment, quelle n’est pas notre surprise de voir tous les élèves en tenue traditionnelle ! Ils nous réservent un accueil chaleureux et pluriséculaire en nous présentant du pain et du sel. Ils se mettent en place pour interpréter quelques airs populaires. Une petite fille en particulier a ravi le cœur de tout le monde par sa belle voix et les émotions qu’elle a su nous faire ressentir, sans même que nous comprenions les paroles.Quand les enfants se mettent en ronde pour danser le kolo, la danse traditionnelle serbe, nous avons bien envie de les rejoindre mais, faute de connaître les pas, nous nous contentons de les regarder. Les vêtements que nous leur distribuons ensuite ne sont pas aussi beaux que les jolies tenues qu’ils arborent, transmises de génération en génération, mais les enfants pourront ranger dans leurs armoires des manteaux chauds et de solides chaussures pour l’hiver. Les professeurs et le père Stevo nous invitent à prendre un café, et une rakija pour les plus audacieux, avant de repartir. Avant de pouvoir quitter le bâtiment, tous les enfants viennent faire un câlin au père Serdjan, puis aux volontaires. C’est très émus que nous rejoignons l’école de Bostan. Si l’accueil est plus classique, il n’en est pas moins chaleureux. Comme toujours, la distribution est efficace et bien vite, la quarantaine d’élève peut rentrer chez elle les bras chargés de cadeaux, non sans avoir auparavant reçu des courriers écrits par les lycéens d’un établissement d’Angers, participant à resserrer un peu plus les liens qui unissent les Français et les Serbes.

Les professeurs nous invitent à une collation et le directeur nous raconte son parcours. Né dans la région, il est parti pour étudier en Serbie centrale avant de revenir s’installer au Kosovo. Nous lui demandons si la vie n’est pas plus difficile ici, il nous répond « oui, bien sûr, il y a beaucoup de tensions, mais ici c’est chez moi. »

Il nous reste encore un poêle à livrer dans un des plus beaux endroits que nous avons vu lors de ce convoi, une ferme en bordure d’un bois, entourée par les montagnes. Nous savons qu’en France de nombreuses personnes seraient prêtes à payer cher pour acheter un terrain dans un lieu similaire, mais ici ce n’est que synonyme d’isolement. Nous avons eu de la chance car il n’a pas neigé, mais c’est un endroit que les intempéries peuvent vite couper du monde.

Avant de rentrer, nous visitons la ferme de Novo Brdo. Depuis la route, nous voyons des troupeaux de moutons et de chèvres paître tandis que les agneaux restent bien au chaud dans l’étable. Les employés s’amusent de nous voir, nous citadins, nous émerveiller devant ces animaux.

La perle de Métochie

Le programme du cinquième et dernier jour est resté vague jusqu’au bout. Nous ne savions pas s’il serait possible de retourner en Métochie, dans l’enclave de Orahovac, cernée par les Albanais, ou dans le village de Velika Hoca où quelques semaines auparavant les forces spéciales kosovares ont confisqué plusieurs milliers de litres de vin sous des prétextes fallacieux. Quand bien même les recours des viticulteurs spoliés aboutiraient, les autorités ont fait exprès de mélanger les trois cépages dans une seule cuve, ruinant ainsi le fruit de plusieurs années de travail. Milovan nous donne le feu vert et nous chargeons ce qui reste de cartons avant de partir cap à l’ouest.

Dès l’arrivée à Orahovac les tensions sont plus palpables. Ici, le quartier chrétien est ceint de barbelés pour protéger la minorité serbe. Au bout de la rue, on aperçoit de hauts minarets et partout autour, les drapeaux albanais donnent le ton. Ici, les enfants ne courent pas dans les rues malgré leur excitation. Il y a des voitures qui passent et la plupart ne sont pas amies. Alors sur la place étriquée, nous disposons nos cartons et nous offrons à ces jeunes ces quelques cadeaux.

Nous quittons cette prison à ciel ouvert pour nous rendre « au petit mont Athos », le surnom donné à Velika Hoca en raison de ses nombreuses églises. C’est sous un soleil éclatant que nous distribuons aux enfants tout ce qu’il nous reste de jouets, de fournitures scolaires, de vêtements et de chaussures.

Avant de quitter le village, au cœur de son église pluricentenaire, le prêtre de la paroisse nous a rappelé les mots de saint Matthieu : « on peut tuer les corps, mais on ne peut pas tuer les âmes », avant de remercier toutes les personnes qui rendent possibles les actions de Solidarité Kosovo. Ce sont tous nos efforts combinés qui permettent aux chrétiens de rester sur leurs terres millénaires.

Nous rentrons à Gracanica où, Français et Serbes, nous célébrons ensemble le jour de l’An autour d’une belle tablée, par des chants, des danses et des promesses d’amitié indéfectibles. Le lendemain, nous retournonsà Belgrade pour rendre compte de notre mission à Arnaud Gouillon.Nous gardons le souvenir des sourires des enfants, de la dignité de leurs parents et de l’amitié sincère qui unit le peuple français au peuple serbe et que nous voulons continuer d’honorer.

Sur le chemin du retour en France, une partie de l’équipe des volontaires s’est rendue au temple Saint Sava à Belgrade