Un rempart au Kosovo (valeurs actuelles)

Un article de Valeurs actuelles, avec Marion Chevtzoff, présidente de Solidarité Kosovo 

le jeudi, 23/12/2010

Dans ce nouvel État européen à majorité musulmane, on construit des mosquées. Là aussi, une page de la chrétienté se tourne.

Les Albanais ont brûlé son église en 2004. Réfugié en Serbie avec ses ouailles, le père Topalovic s’apprête pourtant à retourner au Kosovo : « Les enclaves serbes sont comme les petites taches d’une peau de léopard qu’une malédiction estomperait de plus en plus. On ne peut pas rester sans rien faire ! »
Indépendant depuis fé­vrier 2008, le Kosovo est peuplé à 94 % d’Albanais musulmans. Les Serbes orthodoxes y étaient 250 000 en 2000. Ils ne sont plus que 120 000, concentrés dans le Nord (60 %) ou dispersés dans des enclaves au centre et au Sud.

À Mitrovica (au nord), Ma­rion Chevtzoff est la jeune présidente de l’ONG française Solidarité Kosovo qui organise depuis six ans des convois hu­manitaires pour les Serbes du Kosovo. L’un des plus importants est pour le Noël orthodoxe (du 26 décembre au 7 janvier). Des jouets sont of­ferts aux petits chrétiens des enclaves. Marion désigne la rivière Ibar qui coupe la ville en deux : « Elle symbolise le fossé entre Serbes et Albanais. En cas de partition, elle marquerait la nouvelle frontière. » Du côté nord de Mitrovica (20 000 habitants), un immense dra­peau serbe flotte au-dessus de petites églises.

Du côté sud (80 000 habitants), une mos­quée flambant neuve, dite “wahhabite”, est sortie de terre. « Le 12 septembre, après le match de basket Turquie-Serbie, se souvient Marion, les Albanais ont fêté la victoire turque en franchissant le pont. L’affrontement a été sanglant. »

Pour atteindre Mitrovica, il faut traverser le territoire albanais. Les paysages pourraient rappeler nos Cévennes mais les minarets s’y sont multipliés, entre des églises en ruine. Les catholiques albanais représentent 2 % de la population. Slalomant entre les nids-de-poule d’une enclave à l’autre, Zeljko, chauffeur et diacre orthodoxe, raconte leur drame : « Ils sont ethniquement coupés des Serbes, rejetés par leurs frères, contraints à la dhimmitude. Ils se font traiter de “sales porcs” et ne peuvent même pas pratiquer leur religion en public ! »

Pour demeurer dans le berceau de leur identité nationale en témoignant de leur foi, les Serbes vivent retranchés, subissant les pressions de Pristina. Ils doivent accepter d’être régulièrement privés d’eau et de courant, interdits de travail ou de soins dans les hôpitaux, livrés aux persécutions… Sur 2 150 édifices chrétiens au Kosovo, 150 ont été détruits et 700 abandonnés à l’islam. Près de 400 mosquées ont été construites. Seule la présence de la Kfor empêche une épuration ethnique et religieuse totale.

Au bout d’une bucolique route forestière, deux mitrailleuses lourdes bar­rent l’accès au monastère de Visoki Decani. C’est un dispositif de protection. Attaqué à plusieurs reprises, cet édifice est classé au patrimoine mon­dial de l’Unesco et dans la liste des zones à risque de la mission européenne Eulex.

Le père Petar offre le café et la slivovitsa (alcool de prune) de rigueur. Depuis 1999, l’Église orthodoxe serbe est le seul pouvoir organisé reliant les enclaves. Elle pallie la dispa-rition de l’État. Soutenue par Belgrade, l’Église porte la pa­role des Serbes et agit en mé­diateur avec Pristina et l’ad-ministration internationale. Les prêtres luttent aussi contre l’alcoolisme des jeunes et leur donnent du travail, pour enrayer l’émigration. La foi structure la vie de tous : « À Noël, dès 5 heures du matin, tous les Serbes seront debout pour assister à quatre heures de liturgie. »

L’Église est aussi un outil de la résistance. C’est évident à la messe du soir, dans l’église éclairée par un immense lustre réalisé… avec les armes des guerriers serbes tombés face aux Turcs en 1389 ! Le clergé compte sur la foi de ses fidèles et le soutien de la communauté internationale pour sta­biliser l’existence des mino-rités du Kosovo. Les prêtres et beaucoup de Serbes se voient comme des sentinelles de l’Europe face à l’islam. Les fidèles nous le rappellent, au moment du départ : « Pour la première fois depuis l’Antiquité, des chrétiens risquent de disparaître d’une terre européenne. Si nous cédons, c’est toute l’Europe qui cédera ! »    De Mitrovica, Pierre-Alexandre Bouclay