Cet été, l’association Solidarité-Kosovo a franchi une étape supplémentaire dans son action en organisant une classe de mer pour les enfants des enclaves serbes du Kosovo-Métochie. Commencé en mars 2012, ce projet unique en son genre a demandé de longs mois de travail et de préparation. L’étroite collaboration avec l’Église serbe du Kosovo, partenaire de cette action, et la générosité des donateurs de Solidarité-Kosovo ont permis de mener à bien ce projet à forte responsabilité.
Durant 10 jours, du 15 au 25 août, 40 petits Chrétiens des enclaves de Strpce, Gracanica, Kosovska Kamenica et Gnjilane ont découvert pour la première fois la mer, à Igalo-Herceg Novi au Monténégro. Loin de leur quotidien particulièrement difficile, ils goûté au repos récréatif au bord de l’eau, pour la première fois, en étant libres et en sécurité.
Cette sortie a permis à quarante enfants de sortir de leurs enclaves et, par la même occasion, d’oublier l’apartheid ethnique et religieux dont ils sont chaque jour les victimes.
Grâce à vos dons, ces victimes innocentes de la guerre ont retrouvé, une semaine durant, l’innocence de leur âge où les seules préoccupations étaient celles de la détente et du divertissement.
En cette rentrée de septembre, nous vous livrons ici le récit de leur voyage :
« Ils ont voyagé 14 heures durant pour arriver à bon port. Milena, Lazar et leurs petits camarades serbes, en tout quarante enfants des enclaves du Kosovo-Métochie, arrivent le mercredi 15 août au matin au Monténégro pour une classe de mer inédite.
Accueillis par trois bénévoles de l’association « Solidarité Kosovo », les jeunes participants découvrent avec émerveillement la station balnéaire de Igalo-Herceg Novi. Les enfants déjeunent alors entourés des bénévoles français et du permanent du bureau humanitaire financé par Solidarité Kosovo, le Diacre Bojan.
La fatigue du trajet ayant gagné les plus enthousiastes, les enfants rejoignent leurs chambres pour une courte sieste avant de se retrouver au milieu de l’après-midi. L’heure du goûter est particulièrement joyeuse avec l’annonce du programme des 10 jours. Les cris de joie exprimés par le jeune auditoire traduisent toute l’impatience des enfants à participer aux activités de mer, aux activités artistiques et aux escapades découvertes, qui leur ont été concoctées.
Première baignade et première excursion
« Que l’eau est salée! » s’exclame le petit Milos qui, comme les 40 autres enfants du Kosovo, goûte pour la première fois aux plaisirs d’une baignade en mer au Monténégro.
Quelle joie de voir les quarante enfants chrétiens du Kosovo arriver sur la plage, serviettes et bouées sous les bras, à la découverte de la mer, de son goût iodé et de son espace de jeux et de liberté !
Pour leur première initiation à la natation, les bénévoles de Solidarité Kosovo assistent Dragan, le maître-nageur, qui peine à se faire entendre tant les cris de joie sont forts et intenses. En bord de mer, les petits baigneurs enchaînent les figures de l’étoile de mer sur le dos avant de se retourner sur le ventre pour battre énergiquement des jambes.
Sitôt la séance de nage terminée, une nouvelle aventure inédite attend les enfants qui embarquent pour la première fois sur un bateau pour une visite des îles voisines d’Herceg-Novi.
Cette fois-ci, le calme a gagné le groupe, impressionné par leur première ballade en mer. Un silence contemplatif règne dans le bateau qui sillonne tranquillement la mer comme déposée dans un écrin de collines vertes. A l’horizon, les enfants aperçoivent les îles de Kanli Kula et de Mamula où se trouvent les ruines d`anciennes prisons construites respectivement au XVIème et XIXème siècle. Le bateau pose enfin l’ancre à Zanjice. Sur l’île, une religieuse attend l’équipe pour une visite guidée du Monastère et de l’Eglise de la Saint-Mère-de-Dieu.
Quelques heures plus tard, le Diacre Bojan appelle les enfants à remonter dans le bateau pour rejoindre Herceg-Novi et leur hôtel. Sur le trajet du retour s’organise discrètement l’anniversaire surprise de Nikola, qui fête ses 14 ans. A peine débarqués, les bénévoles de « Solidarité Kosovo » s’empressent de trouver un gâteau d’anniversaire pour les 40 petits ventres gourmands qui de leur côté s’installent dans la cafétéria prêts à entonner à plein poumons la chanson d’anniversaire en serbe.
Le gâteau est acheté, les bougies sont allumées, Nikola fait son entrée, le chant est entonné! Le bonheur des enfants rayonne au Monténégro et il s’entend, « Joyeux anniversaire Nikola! »
Jeux et découverte de la ville de Kotor
Les 40 enfants de la classe de mer ont de nouveau pris le large à bord d’un bateau à la découverte du fjord européen le plus méridional situé dans le site exceptionnel des bouches de Kotor, classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Tout au long de son littoral, les enfants aperçoivent de petits bourgs tranquilles, incrustés dans une végétation luxuriante plongeant dans la mer. Et c’est au large de Perast que le groupe décide d’effectuer sa première halte, sur l’île de Notre-Dame-du-Rocher, pour y découvrir sa légende et visiter son église. L’encre est jetée, les portes de l’édifice s’ouvrent.
À l’intérieur, le guide accueille les enfants et les installe près de l’icône de la Madone et de son enfant, accrochée au-dessus de l’autel.
L’atmosphère est propice au récit, le conte commence. La légende dit que le 22 juillet 1452, deux frères pêcheurs, Vénitiens de Perast, trouvèrent une icône de la Vierge sur le récif au large de Perast. Ils ramenèrent sur la terre ferme, mais le lendemain celle-ci se retrouva sur son rocher d’origine. En réponse à ce message, les Pérastois entassèrent deux siècles durant, autour de ces rochers, des épaves de voiliers et des petites pierres afin de bâtir un îlot de 3000m² et de dédier une église en l’honneur de l’icône trouvée sur le rocher.
Médusés par l’histoire de cette île artificielle, la seule de l’Adriatique, les enfants rejoignent le bateau en direction de Kotor. Sur place, dans le parc de la cité médiévale, les enfants déjeunent en observant les remparts de l’époque vénitienne qui les entourent, ceinturant la ville sur quelques 4,5 km. Dans la montagne, les murailles rejoignent la forteresse Saint-Ivan. Au loin, quelques enfants reconnaissent même les magnifiques monts Lovćen, les plus hauts du Monténégro.
Impatients, les enfants prennent d’assaut la veille ville de Kotor, leur dessert à la main !
Le groupe s’engouffre dans les remparts de Kotor par la porte principale de la vieille ville datant du milieu du XVème siècle. Le lion de Venise, le blason de la République fédérale de la Yougoslavie et le drapeau rouge du Monténégro souhaitent la bienvenue aux très nombreux touristes.
À l’intérieur, places, terrasses, vitrines pittoresques des horlogers et autres artisans, petites ruelles avec vue imprenable sur le Mont Lovćen, rendent la visite inoubliable. Dans le Palais Grgurina, les enfants visitent le musée de la marine connu pour ses collections de différents types de bateaux, de toiles artistiques, d’armes, de costumes nationaux et de mobilier, tout ce qui évoque la grandeur et la splendeur passées de la marine et de la vie dans cette région. Marina observe que l’une des cartes est rédigée en français, elle demande alors la traduction à un bénévole de Solidarité Kosovo.
La visite de la cité de Kotor se poursuit sur la place Saint-Luc, où le groupe est accueilli par le prêtre de l’église serbe orthodoxe dédiée à Saint Nicolas. Dans l’église Saint-Nicolas, des fidèles interprètent des chants religieux a capella, entourés par de superbes fresques du XIIème siècle réalisées par un iconographe tchèque.
En sortant de l’église, le groupe fait connaissance avec Dimitrije Bjelica qui, en les attendant, a disposé 10 échiquiers à même le sol. L’ancien champion serbe d’échecs invite les enfants à le défier le temps d’une partie. En Serbie, les échecs sont l’un des jeux les plus populaires chez les grands comme chez les petits qui le pratiquent à la maison comme à l’école. Les enfants sont heureux de pouvoir se mesurer à l’une des plus grandes figures nationales du monde échiquéen serbe. Hélas, les parties terminent rapidement en Échecs et mat en faveur du champion !
Rien de grave pour les enfants qui expliquent aux bénévoles de Solidarité Kosovo que les échecs apprennent la patience et l’assiduité. Les yeux plein d’admiration, les enfants proposent au champion une partie de water-polo dans les eaux de Kotor avant de reprendre le large pour Igalo.
19h30, les petits rentrent enfin à l’hôtel, épuisés par cette journée olympique qui leur a permis de découvrir des sites exceptionnels dans une atmosphère paisible et récréative. Ils s’endorment le cœur chargé de souvenirs en songeant aux nouvelles aventures tout aussi palpitantes qui les attendent dans les prochains jours.
La classe de mer au Monténégro allie en effet moments de détente balnéaire aux plaisirs des découvertes culturelles. Pour les 40 jeunes âmes du Kosovo, ce séjour représente plus encore. Il s’écrit dans une succession de première fois : dépasser les frontières de leurs enclaves, voyager, découvrir la mer, apprendre à nager, se sentir libre, se sentir en sécurité…
Dans cet état d’esprit où les cœurs sont sereins et les âmes apaisées, les bénévoles de « Solidarité Kosovo » ont souhaité prolonger l’épanouissement en alternant les sorties en mer avec des animations ludiques. C’est ainsi que plusieurs artistes serbes confirmés se sont déplacés spécialement jusqu’au Monténégro pour animer des ateliers d’éveil artistique.
40 enfants et autant de talents
Djordje, 12 ans, a remporté le prix de l’interprétation décerné à la fin de l’atelier théâtre : « Je me suis amusé à être une autre personne : amusante, heureuse, qui fait rire aussi ! ». Il est vrai que l’amphithéâtre de Forte del Mare à Herceg Novi, investit par le groupe d’enfants pour l’occasion a raisonné de rires lorsque le jeune comédien a joué le rôle d’un instituteur cocasse.
L’expression s’est faite à travers le dessin pour Gordana, 10 ans, lauréate du concours « KOLOR ». « J’ai dessiné à la craie une fleur à partir d’une bouche d’égout. Maquillée, la rue avait une autre allure, plus jolie, plus agréable. Ce soir là, j’ai changé cet endroit ».
Quant à Andrija, 9 ans, il ne quitte plus sa médaille. « C’est le champion Dimitrije Bjelina qui me l’a remise à la fin du tournoi d’échecs». Le jeune vainqueur, passionné d’échecs, a appris à jouer avec ses frères dans l’enclave de Kosovska Kamenica. «Ma famille va être fière de moi, j’ai hâte de leur raconter mes coups gagnants ! »
Visite dans le cœur du Monténégro
Les enfants se souviendront longtemps de l’excursion culturelle effectuée dans le cœur historique du Monténégro tant les points de vue étaient époustouflants et les lieux chargés de symbole.
Lorsqu’à 9 heures du matin, les 40 enfants des enclaves ont rempli le car spécialement affrété pour la journée d’excursion, ils ne se doutaient pas de la visite qui les attendait. Pendant le trajet, les pronostics allaient bon train mais aucun n’effleurait la surprise concoctée par l’équipe encadrante. C’est au niveau de la cité médiévale de Kotor, visitée quelques jours auparavant en bateau, que le petit Arandjel dévoila la surprise à ses petits camarades en s’exclamant « Kotor ! Lors de notre visite, nous y avons aperçu le plus haut sommet du Monténégro, le Lovcen où repose le poète serbe Njegoš ! C’est là-bas que nous allons ! »
Le car s’engagea alors dans l’impressionnante ascension du Mont Lovcen, classé en parc naturel et culminant à 1749 mètres d’altitude. Avec pas moins de 32 courbes abruptes, la route offrait des points de vue de toute beauté sur la baie de Kotor. A l’intérieur, le parc naturel abrite plus de 1 158 espèces végétales.
S’il est le plus haut sommet et le plus beau, dit-on, du Monténégro, le Lovcen doit avant tout sa notoriété à son héritage culturel. Sur le mont Lovcen est inhumé un évêque orthodoxe, qui fut un philosophe éclairé, un poète talentueux, le chef de file de la résistance contre les Turcs et un héros de la souveraineté étatique au XIXe siècle, le Prince Petar II Petrović Njegoš.
C’est sur les traces de ce passé prestigieux, que le car s’arrête au village de Njeguši pour y découvrir la demeure de l’ancienne famille royale monténégrine, les Petrović. Après une pause rafraîchissante, le car reprend la route direction le col de Jezersky.
Près du sommet, la route s’arrête et l’ascension ne peut se poursuivre qu’à pieds. Les enfants sortent du car et découvrent avec un panorama époustouflant : une vue spectaculaire de 360° sur la mer Adriatique. Empruntant le seul chemin accessible depuis le parking, les 40 petits aperçoivent la dernière étape de l’ascension, toute aussi impressionnante : 461 marches d’escalier qui les séparent du Mausolée de Petar II Petrović Njegoš.
Galvanisés par tant de beauté et impatients de s’approcher de ce lieu hautement symbolique, les enfants avalent une à une les marches ! Arrivé (essoufflé) sur le pic, le groupe du Kosovo se retrouve nez- à-nez avec l’édifice funéraire dédié au Prince Njegoš, au style très « réalisme socialiste », réalisé par le sculpteur croate Ivan Meštrović. A l’entrée de la chapelle, deux sculptures monumentales de femmes taillées dans le granit gardent la crypte. A l’intérieur, se dresse une autre sculpture monumentale, celle de Njegoš représenté assis, un livre posé sur ses genoux. La dépouille de ce dernier est située dans un sarcophage de marbre blanc dans une crypte souterraine. Les enfants l’approchent, impressionnés et émus.
13h déjà ! Le grand air et l’effort ont creusé l’appétit des tout petits et il est temps pour la classe de mer de rejoindre Cetinje pour se restaurer.
Il se dit que Cetinje est la capitale du « Trône » monténégrin. Cette ville qui compte aujourd’hui un peu plus de 15 000 habitants était l’ancienne capitale royale du pays. Ses habitants conservent fièrement le prestige de son passé et lors de la visite du musée de Prince Njegoš, le guide nous affirme que « Cetinje est la capitale culturelle du Monténégro ».
La visite de Cetinje se poursuit au monastère orthodoxe serbe de Cetinje, construit sur le site d’un monastère fondé par Ivan le Noir, le 4 janvier 1485 et consacré à la Naissance de la Vierge Marie. Les enfants ont découvert les somptueuses reliques qu’abrite le monastère, dont celles de Saint Pierre de Cetinje et de Saint Jean-Baptiste ainsi que l’icône originale de la Vierge de Philerme (Panaghia tes Phileremou), initialement détenue par les Chevaliers de Malte à Rhodes. A la fin de la visite, un moine du Monastère distribua une brojanica (bracelet serbe) à chaque enfant en les remerciant pour leur passage et en leur souhaitant un bon retour sur les terres du Kosovo.
18h – Les petits sont épuisés, ils remontent dans le car et très rapidement s’endorment presque tous.
Le retour à l’hôtel s’est effectué dans un silence complet, un fait sans précédent durant le séjour ! La traversée des bouches de Kotor en empruntant le ferry en aura réveillé quelques-uns d’entre eux.
Dernier jour : « Au revoir, et encore merci »
La classe de mer organisée par « Solidarité Kosovo » en faveur des enfants des enclaves serbes du Kosovo s’est terminée le samedi 25 août, par la visite du monastère d’Ostrog, haut lieu de pèlerinage.
C’est au terme de cette impressionnante visite que les enfants serbes ont repris la route en direction de leurs enclaves. Avant de monter dans leur autobus, les petits pousses ont salué chaleureusement une dernière fois les bénévoles de « Solidarité Kosovo » qui n’oublieront pas les mots de Stefan « Merci aux français ! J’ai découvert ici une autre vie … et j’ai même appris à nager ! ».
Reposés et heureux, les 40 enfants des enclaves serbes rentrent au Kosovo, rejoindre leurs parents et leurs proches pour partager avec eux les souvenirs de ce séjour où ils ont découvert la mer et la liberté.»