A l’occasion du 16ème convoi depuis sa création en 2004, l’association a acheminé cet hiver près de 36m3 de matériel pour une valeur totale de 30 000 €. Au cours des sept jours qu’a duré le convoi de Noël 2011, l’aide humanitaire a pu être distribuée directement dans les villages isolés. Une partie du matériel a également été déposée auprès des monastères orthodoxes avec lesquels Solidarité Kosovo entretient un partenariat étroit. Grâce au concours des religieux, les vêtements, meubles et jouets seront redistribués aux familles nécessiteuses que l’association n’aura pas eu le temps de visiter.
Destination : le cœur de l’Europe. Direction le Kosovo
L’équipe de bénévoles était cette fois-ci constituée de dix volontaires dont six pour qui ce voyage au Kosovo était une première. Originaires de Lyon, Paris et Saint-Etienne, tous avaient à cœur d’aider sur le terrain ceux qu’ils considèrent comme leurs frères en apportant soutien matériel et réconfort moral à des familles qui, pour certaines, n’ont reçu aucune aide depuis la guerre de 1999.
Pour les Serbes, le Kosovo a toujours été considéré comme le cœur de la Serbie. La bataille du champ des Merles de 1389 qui opposa l’armée serbe du Prince Lazar aux troupes ottomanes est connue de tous. Pour nous, le Kosovo est le cœur de l’Europe car nous sommes conscients que ce qui s’y passe préfigure d’une certaine manière ce qui pourrait arriver ailleurs sur le Vieux Continent.
Le convoi s’ébranle
Les collectes réalisées à Paris et Aix-en-Provence ont été acheminées à Lyon où nous avons notre entrepôt. Le départ du convoi est lancé. L’excitation de l’inconnu et la très bonne organisation de notre équipe nous permettent d’avaler rapidement les premiers kilomètres. Il faudra en parcourir près de 2000 et se déjouer de l’ennui, de la fatigue et surtout des innombrables tracasseries liées aux passages de frontières avant d’atteindre notre but.
Les véhicules, trois camions et une voiture, se suivent en file indienne et avalent à toute allure la longue autoroute traversant la Plaine du Pô, baignée de brouillard et des fumées des usines. Les chauffeurs communiquent par Talkie-walkie et se transmettent les informations vitales au passage des frontières ou aux haltes de ravitaillement. Il faut faire vite car un retard trop important mettrait en cause notre mission.
Dès la sortie de l’espace Schengen, nos camions sont scellés avec du plomb afin d’assurer le transit de notre collecte par la Croatie et la Serbie.
A chaque nouveau poste de douane, se déroule le même rituel : présentation des passeports, formalités de sortie, passage auprès de sociétés privées chargées des formalités d’expédition des marchandises et enfin passage aux douanes d’entrée dans le pays. Bonheur du libéralisme marchand, le traitement des documents officiels d’expédition est entièrement sous-traité à des agences privées qui, évidemment, ne se pressent pas pour s’occuper d’un convoi humanitaire qui ne leur rapporte rien. L’intervention de douaniers un peu plus compréhensifs nous aura permis d’accélérer à une ou deux reprises ces procédures qui nous semblèrent interminables.
Les mystères de l’administration font que de nouveaux règlements de douanes surgissent chaque année non sans créer tracasseries et retards… Tel agent d’exploitation nous demande 1000 € pour nous escorter à travers le pays, tel autre refuse de faire son travail en nous demandant de nous référer au « chef » qui évidemment n’est pas là… Mais les bonnes surprises arrivent aussi, comme avec le poste d’expédition serbe qui nous offre les droits de douanes en solidarité avec notre action. Un peu de champagne français se trouvait d’ailleurs sous chaque siège chauffeur pour remercier ces bonnes âmes débloquant des situations qui semblaient totalement bouchées un quart d’heure avant.
Une aventure humaine
Face à ces aléas du voyage qui sont très peu de choses en comparaison avec les souffrances des Serbes du Kosovo et Métochie, notre équipe ne se décourage pas. Elle se démène pour réaliser les papiers de transit dans des casernements aux lumières blanches où des dizaines d’employés attendent et nous regardent bêtement sans vouloir s’occuper de nous.
C’est l’occasion pour l’équipe de bénévoles de se souder car les convois de Solidarité-Kosovo sont aussi une véritable aventure humaine. On tape le carton, on refait le monde ou on s’interroge plus simplement sur ce que l’on rencontrera une fois la dernière frontière passée. Car pour les membres de l’équipe au-delà du geste élémentaire de solidarité, il s’agit aussi de se rendre directement sur le terrain et constater de visu la situation. Loin des fantasmes et des mensonges il s’agit de dire la vérité à notre retour. Et celle-ci, édifiante, se suffit à elle-même.
Entrée au Kosovo
La route continue, froide et sans âme, seul le but ultime de notre mission nous réchauffe le cœur. Les haltes à côté des camions de cochons entassés ou dans des hôtels à la décoration soviétique figés dans les années soixante égaient cependant un peu le convoi.
Enfin nous arrivons au dernier point de douane serbe. Dans le tournant d’une petite route de montagne, par un froid particulièrement rigoureux, l’attente se prolonge une dernière fois tandis que nous voyons rentrer dans les enclaves les bus de Serbes obligés de partir chaque jour du Kosovo vers la Serbie pour travailler et subvenir à leurs besoins. Nous devons finalement laisser les camions au terminal douanier côté kosovar. Le dédouanement ne pourra commencer que le lendemain matin. Nos amis Serbes présents sur place décident alors de nous faire passer la frontière à pied afin de rejoindre leurs enclaves situées à quelques kilomètres de là, pour y dormir.
Derniers kilomètres dans la nuit. Un faible éclairage public nous permet d’apercevoir les graffitis sur les murs et les poteaux électriques et nous signalent que nous entrons dans une enclave serbe : « Kosovo Je Srbjia », le Kosovo c’est la Serbie ou CCCC « Seule l’union sauvera le peuple serbe » symbolisent l’esprit de résistance des derniers habitants.
Notre premier point de chute est le bar de Ranilug, près de Kosovska Kamenica, centre névralgique du village. Predrag le responsable du club de judo nous y attend et l’hospitalité serbe ne se fait alors pas mentir. Choux et poivrons marinés gardés pour l’hiver ou cochon grillé, le tout arrosé de Schlivo (eau de vie de prune locale), seront servis sans fin à notre équipe affamée. En souvenir des convois précédents, lorsque Solidarité Kosovo leur avait offert Tatami et Kimono, les jeunes du club défilent pour nous montrer les médailles glanées dans des championnats internes au Kosovo ou à la Serbie. Nous sommes aussi fiers qu’eux et heureux de voir cette jeunesse bien décidée à se battre plutôt que de tomber dans les travers de l’ennui et de la drogue qui font ici des ravages.
Le choc des premiers moments
Au petit matin, nous retournons à la douane afin de légaliser l’entrée de nos cargaisons humanitaires au Kosovo. Lors de notre passage à la frontière, la veille au soir, nous n’avions pas vu certains éléments qui expliquent à eux seuls la situation. Ici sur un poste officiel flotte en toute liberté le drapeau albanais. Nous ne cesserons d’en voir, partout, tout le temps, nous rappelant que les kosovars et leur drapeau n’ont jamais existé que dans l’esprit des occidentaux et de ses élites politico-médiatiques. Ici qu’on se le dise, nous sommes désormais en territoire revendiqué comme albanais. Seuls les Serbes, marqués dans leur chair par cette colonisation de peuplement le savent réellement.
Nous croiserons à de nombreuses reprises les mémoriaux à la gloire de l’UCK et ce drapeau albanais, omniprésent, et souvent accompagné du drapeau américain rappelant à tout le monde qui ont été les vainqueurs de la guerre de 1999. Pour les Serbes, le profil bas s’impose partout et rien ne semble plus pouvoir arrêter les Albanais trop heureux de pouvoir étendre leur territoire avec l’apparence de la légalité.
Un pouvoir albanais et musulman ; notre premier réveil au son du muezzin est là pour nous le rappeler. Ici tout nous est pourtant familier, les têtes blondes des enfants, ces collines finement dessinées, ces troupeaux et ces fermes qui nous rappellent notre campagne française. Et pourtant fichés comme des pieux sur cette terre d’Europe les minarets flambant neufs fleurissent à chaque détour de chemin portés par une population albanaise, ethniquement, linguistiquement et religieusement totalement étrangère à des Serbes se trouvant pourtant chez eux.
Une guerre larvée dans un état quasi mafieux
Notre cheminement à travers les enclaves nous permet de nous rendre compte de la situation très difficile des Serbes. Si la guerre est finie et que les émeutes ethniques de 2004 sont maintenant loin, des assassinats ont encore lieu ici et là. Mais surtout la population albanaise, désormais au pouvoir, fait un vrai travail de sape pour pourrir la vie des habitants Serbes. Par exemple, établir un contrat téléphonique ne peut plus se faire qu’en albanais ; le gouvernement vient d’établir un système d’assurance à 600 €, une fortune, pour tout véhicule du Kosovo se rendant en Serbie ou inversement et les exemples ne manquent pas…
Sur la route, les stations essences et de lavages de voitures pullulent. Plus tard nous apprenons que ces services sont en fait utilisés par des criminels albanais pour blanchir l’argent de la drogue ou des ventes d’armes. Il nous est expliqué aussi, à notre plus grande surprise, comment les prix de l’immobilier se sont envolés, permettant uniquement aux mafieux de racheter les maisons et commerces serbes.
Plus concrètement, c’est physiquement que les Serbes se sentent menacés jour et nuit par les populations albanaises les entourant. C’est pourquoi les plus grandes précautions sont ainsi prises pour tous déplacements par une population à la fois fatiguée de subir cette situation et décidée à résister. Un chef de village nous relate l’histoire arrivée à ce couple de retraités la veille de notre arrivée qui a découvert sa maison une nouvelle fois cambriolée avec du poison répandu dans toutes les pièces et les placards. En passant devant cette maison, nous apercevons un panneau installé à la hâte sur lequel est inscrit « A Vendre »… Plus largement, les maisons abandonnées ou détruites, les églises brûlées ou éventrées par des explosifs que nous rencontrerons tout au long de notre périple nous rappelleront l’urgence de la situation.
Aujourd’hui, il faut le dire, le pays est livré à une sorte d’anarchie où les groupes mafieux prospèrent largement et prennent la main sur les troupes fantoches de l’Eulex et de la république du Kosovo. Une situation qui ne déplait surement pas aux Etats-Unis d’Amérique satisfaits d’avoir instauré le chaos au centre même de l’Europe.
Notre but est atteint, les distributions peuvent avoir lieu
Les livraisons de matériel s’effectuent sans accros. Au cours de notre séjour nous nous rendons à plusieurs reprises dans des écoles pour distribuer des jouets et des affaires scolaires à des enfants de 5 à 16 ans. L’accueil des professeurs est toujours excellent et ces derniers sont par ailleurs heureux de voir ces radios et télévisions qui suivent notre parcours. Le projecteur est mis sur leur situation et cela ressemble à une bouffée d’air pour eux. Ces reportages se multiplieront d’ailleurs pendant ces quelques jours, et Arnaud Gouillon qui parle parfaitement le serbo-croate témoignera alors en tant que français de la situation et de nos motivations. Ce sont des messages de soutien et d’amitié que nous envoyons alors au nom de tous nos donateurs sur les ondes hertziennes serbes. Le lendemain, de nombreux villageois nous reconnaîtront dans la rue et viendront nous saluer chaleureusement.
Nous passons une journée entière à Gracanica pour suivre le travail quotidien réalisé par Bojan, le permanent du bureau humanitaire de Solidarité Kosovo, auprès des familles serbes des enclaves. C’est avec lui que nous visitons cinq villages serbes situés à proximité de Pristina, ville principale du Kosovo, aujourd’hui entièrement albanaise. Nous avons la surprise de rencontrer deux familles nombreuses de 8 enfants chacune, à qui nous déposons plusieurs cartons de vêtements, de jouets et de matériel scolaire. Avant de poursuivre notre route en direction de la Métochie, nous déposons plusieurs mètres cubes de vêtements et de mobilier dans l’entrepôt accolé au bureau. Bojan les distribuera dans les prochains jours aux villages que nous n’avons pas le temps de visiter.
Nos livraisons ont aussi lieu dans des monastères. Plusieurs d’entre eux resteront gravés dans nos mémoires. Celui de Visoki Decani est sans doute le plus emblématique de ceux-ci. Monastère serbe du 14ème siècle dont la beauté illumine chaque jour les nombreux fidèles venant s’y recueillir, cet édifice religieux construit par le roi Stefan Decanski est situé au bout d’une longue route étroite, gardée par des soldats Italiens de la Kfor. Après avoir franchi l’impressionnant barrage militaire, nous commençons la visite du monastère avec le Père Petar, vieil ami de l’association. Souriant, couvert d’un habit traditionnel noir duquel ne dépassent que son visage, sa longue barbe et ses mains usées par le travail aux champs, il nous montre des fresques byzantines uniques et nous compte l’histoire de la petite communauté monastique. Celle-ci, nous dit-il, a résisté à cinq siècles d’occupation ottomane, à soixante ans de Communisme, et, si Dieu le veut, continuera d’exister et de résister à l’avenir. Dans cette tâche historique, nous lui promettons de continuer à le soutenir comme nous le faisons depuis 2004. Nous déposons ici plusieurs mètres cubes de vêtements et de jouets avant d’aller nous entretenir avec Père Sava, Archimandrite du monastère, sur les projets futurs que nous souhaitons réaliser ensemble. Nous repartons les bras chargés de présents offerts par les moines et le cœur remplit d’espoir.
Le soir du 31 décembre, notre équipe de bénévoles doit encore livrer du matériel au monastère de Draganac. Les festivités du nouvel an seront donc pour plus tard. Niché au fin fond d’une forêt en plein cœur du Kosovo, le monastère de Draganac est habituellement difficile d’accès. En cette soirée de réveillon, la tache nous semble éminemment plus compliquée qu’au mois de juillet, lorsque nous étions venus apporter des lits. Après avoir cherché notre chemin pendant quelque temps, nous avançons difficilement sur la route enneigée qui doit nous mener à Draganac. A la croisée des chemins, le véhicule de tête se retrouve soudainement bloqué par la neige et la glace. Il nous est impossible d’avancer un mètre de plus. Hors de question pour nous d’abandonner si près du but. Nous réagissons alors efficacement et rapidement. Tandis qu’une équipe déblaye les roues à la pelle à neige, une seconde équipe installe les chaines et une troisième équipe transfère la totalité du chargement des deux autres véhicules dans le camion de tête. Chargé à en déborder, mais chainé et dégagé, le camion parvient à se frayer un chemin tandis que les bénévoles rejoignent le monastère à pied. Les moines qui nous accueillent n’en croient pas leurs yeux. Le Père Ilarion, moine francophone et ami de longue date, nous explique qu’il ne nous attendait plus, croyant que nous avions dû rebrousser chemin à cause de la neige. Dans une atmosphère complice et amicale nous déchargeons la totalité du matériel qui nous restait. Avant de nous séparer, une bataille de boules de neige mémorable entre moines, novices et bénévoles de l’association éclate et nous rappelle, si besoin était, que ces hommes courageux, qui vivent dans des monastères isolés, dont certains seulement sont encore protégés par la Kfor, sont plein d’espoir et de joie.
Une fois que nous serons repartis, les moines orthodoxes se chargeront de distribuer le matériel aux différentes familles des environs, selon les besoins du moment.
Nous sommes impressionnés par tous les moines rencontrés durant notre séjour, tous de solides gaillards, aptes à la vie en autonomie, et véritables résistants au nouvel ordre mis en place au Kosovo. Ils sont d’ailleurs très respectés en Serbie où ils jouent le rôle de boussole indiquant la voie à suivre. Alors que l’heure du départ se fait sentir, les souvenirs des moments de grâce vécus ces derniers jours au Kosovo nous réchauffent le cœur comme jamais et c’est le pas léger que nous quittons nos amis en faisant la promesse de ne pas les oublier, de maintenir la Flamme et de revenir sur cette terre meurtrie. La terre des serbes, la terre des européens, notre terre.
Merci à tous nos donateurs qui par leur générosité ont contribué à la réussite de ce convoi.
Romain Quenot