Ce 26 décembre, lendemain de Noël, nous nous retrouvons à la gare de Grenoble avec les huit bénévoles. Jean-Pierre, Alexandra, Édouard, Thibault, Mladen, Nikola, Camille et Arnaud.
En ce lendemain de fête, des hommes et des femmes de parcours bien différents s’unissent autour d’une même cause : aider les chrétiens du Kosovo persécutés depuis des années et oubliés du grand public.
L’équipe part rapidement dans le fourgon et la voiture, il n’y a pas une minute à perdre. Un long périple de 2000 kilomètres nous attend. Direction le tunnel du Mont Blanc puis Milan où le brouillard épais rend notre voyage d’autant plus long et difficile.
Nous entamons donc notre première pause non loin de Zagreb, en Croatie où nous passerons la nuit. Il est minuit, à peine le temps d’organiser la journée du lendemain et l’équipe fonce se reposer pour prendre quelques heures de sommeil.
Le lendemain matin, nous partons vers 8 heures dans un brouillard toujours plus épais. Nous arrivons malgré tout jusqu’à la frontière serbo-croate puis nous rentrons en Serbie via Belgrade et enfin nous arrivons à la frontière Merdare à l’est du Kosovo. C’est le point le plus proche pour rejoindre notre camp de base. Ici, la purée de pois est encore plus importante et nous oblige à nous arrêter.
Pour ne pas perdre trop de temps, nous décidons d’avoir recours au système D : un bénévole passe la tête par la fenêtre de la voiture et nous permet de continuer notre progression. 3 heures de plus sont nécessaires pour rejoindre Gracanica et son monastère. Il est 20 heures et l’équipe est heureuse de rejoindre l’auberge qui sera notre point d’ancrage. Vojislav, un chrétien local nous accueille depuis des années dans son établissement. Salade de choux, viande grillée et fromage de chèvre maison, nous sommes heureux de pouvoir enfin avoir un bon repas chaud. Dehors, la température baisse, il fait -10 degrés.
Un rythme au pas de course
Le 28 décembre marque notre premier jour au Kosovo. Pas le temps de s’éterniser à l’auberge, nous partons pour l’entrepôt de Solidarité Kosovo qui se trouve dans le monastère de Gracanica. Le père Serdjan et le séminariste Milovan nous attendent de pied ferme avec le matériel arrivé par poids-lourd quelques semaines plus tôt. Les paquets chargés, il est temps de partir pour Vitina à l’est du pays. Dans cette petite ville, une seule rue est chrétienne. 150 fidèles dont 30 enfants vivent dans cette cité de plus de 10.000 habitants. Ici, seuls sont restés ceux qui n’ont pas cédé aux menaces de la milice albanaise et ont dû s’armer de courage. Dans la minuscule école, les enfants crient de joie à notre arrivée. Chacun reçoit un cartable, une veste chaude, des chaussures et un cadeau de Noël.
Chaque bénévole, ancien comme nouveau, ne peut rester de marbre face à la joie de ces enfants et à leur réaction lorsqu’ils reçoivent leurs cadeaux. Personne n’a pu s’habituer à la pauvreté de ces enfants, à leur réaction face à un petit cadeau quand un occidental n’y prêterait même pas attention.
La deuxième étape de la journée est Binac, un village chrétien, isolé, dans l’extrême-est du pays. Dans la seule école du village, la vingtaine d’élèves est heureuse de nous revoir. Un enfant s’approche d’Arnaud. À la demande de son âge, il répond avoir neuf ans. La malnutrition, les mauvaises conditions de vie nous font penser qu’il n’est âgé de seulement 5 ans. Le visage fermé, les cheveux en bataille et les dents rongées par les caries, le petit Igor nous serre le cœur. A lui tout seul, il symbolise la souffrance des chrétiens du Kosovo.
Enfin nous arrivons dans l’après-midi au monastère de Draganac , perdu au milieu d’une forêt de sapins. Construit par le prince Lazare de Serbie, il est le phare chrétien de toute la région, un lieu protecteur des fidèles depuis le 14ème siècle, particulièrement durant les pogroms.
Pour permettre aux moines de continuer à recevoir des pèlerins, nous finançons la rénovation de l’hostellerie mitoyenne.
Le père Justin nous fait visiter les lieux au rythme des anecdotes dignes d’un roman historique. Il raconte la dernière en date, sa rencontre avec un loup devant le monastère la semaine passée. Après un temps de prière, il est déjà temps de repartir pour Gracanica.
Le lendemain, 29 décembre, nous avons quatre villages à visiter en compagnie des médias locaux. Journaux, télés et radios nous suivent et c’est, pour nous, l’occasion de dire à nos amis Serbes que la France et nos 10.000 donateurs ne les oublient pas. Que nous prions et nous agissons pour eux, par le don, et les convois.
Des enfants fiers de leur culture
Nous voilà donc dans la crèche de Radevo. Les petits enfants nous accueillent avec des récitations et des chants religieux. On laisse ici de gros cartons de jouets pour l’établissement, les distractions étant rares dans cette région. Et nous reprenons la route pour Donja Bernjica et son école que nous avions rénovée il y a quelques années.
Cette enclave chrétienne est la seule a avoir survécu à proximité de la capitale malgré les nombreuses attaques et enlèvements. Ici aussi les élèves nous attendent de pied ferme. 45 jeunes nous montrent fièrement leurs danses traditionnelles, véritable identité de ce peuple. Chaque bénévole est impressionné par la force qui se dégage de leur regard, par la sureté de leurs pas de danses. C’est tout un peuple qui transpire au travers de ce spectacle.
Ici, la jeunesse est fière de son histoire, de sa culture. La seule chose qu’ils possèdent et de laquelle ils prennent soin.
La veille du nouvel an, nous partons pour Banja, un petit village de l’Ouest connu pour ses sources d’eaux chaudes. Au travers des allées, nous admirons les maisons en torchis, le ruisseau du village qui alimente encore six moulins… Et rejoignons Payo, un ami de l’association qui est notre guide. Ce jeune ayant appris le français auprès des forces de l’OTAN connaît le Kosovo comme sa poche et nous guidera cette journée.
Dans ce village nous retrouvons aussi Milos, un petit enfant qui a aujourd’hui neuf ans. Six ans plus tôt, le bambin avait reçu d’Arnaud un camion pour Noël. Encore aujourd’hui, il est fier de nous montrer ce cadeau en parfait état au moment même où certains en France ne se souviennent déjà plus des cadeaux de l’an dernier…
Protégés par l’armée.
Il est temps de prendre la route du monastère de Visoki Decani. Ici changement d’ambiance. Nous passons plusieurs checkpoints de l’OTAN protégés par des blindés et des blockhaus. Arrêtés par les militaires, nous laissons nos papiers d’identités en échange de laissez-passer. Sur les murs de protection, les impacts de balles sont encore visibles. Ces soldats de l’OTAN sont la dernière protection pour les moines, régulièrement attaqués à l’arme de guerre. Pour sécuriser le monastère, Solidarité Kosovo a financé la construction d’un sas de sécurité et d’un mur d’enceinte tout autour.
Une fois arrivés, le père Petar nous reçoit. Une chose ici a changé, des soldats patrouillent désormais à l’intérieur des lieux, en plus des trois points de contrôle extérieurs, preuve du danger réel qui menace les chrétiens. La sécurité a du être renforcée suite aux nombreuses menaces des islamistes.
Mais une fois à l’intérieur, nous remarquons que le monastère n’a rien perdu de sa spiritualité. Durant les vêpres, nous prions à la lumière des bougies et au son des chants orthodoxes qui résonnent sur les murs de pierre recouverts de fresques magnifiques datant 14ème siècle. Invités par les moines, nous dormons dans ce lieu empreint d’histoire et de sacré.
Pour ce dernier jour de l’année 2015, nous prenons la route de Orahovac et de son ghetto serbe. Au sommet de cette ville de 20.000 habitants, 500 chrétiens sont retranchés dans ce quartier isolé, protégé par des barbelés. Trois rangées de maisons brulées marquent la démarcation.
Les chrétiens sont ici coupés de tout contact avec le reste de la cité. Ici, pas de présence de l’OTAN mais seulement une police qui patrouille de temps en temps. Dès que la nuit tombe, les fidèles se terrent chez eux et hésitent toujours avant de sortir.
Le prêtre, quant à lui, nous explique recevoir régulièrement des pavés aux travers de ses carreaux, brisés régulièrement.
Notre présence est symbole d’espoir pour les 50 enfants qui survivent ici et auxquels nous tentons d’apporter du réconfort.
Dernière étape de notre périple, Velika Hoca, un village isolé qui compte 13 églises pour 500 habitants. L’endroit est magnifique de bonté et d’humanisme et nous nous sentons un peu moins oppressés. Nous terminons alors la distribution des cadeaux à la nuit tombée et devons refuser, le cœur serré, l’invitation du prêtre à réveillonner.
Retour alors à Gracanica où nous passons la nouvelle année à chanter avec Vojislav et quelques habitants. Le lendemain, nous repartons vers la France non sans une pointe de tristesse mais avec le sentiment du devoir accompli.
Une lueur d’espoir pour ces chrétiens, pourtant en occident, mais oubliés de tous et à la merci des persécutions qui tuent tant d’hommes pour leur foi chaque année.