Solidarité Kosovo a en ce début d’année financé les travaux de rénovation de deux écoles de montagne, dans le cadre de son opération lancée en novembre 2016. Arnaud Gouillon, directeur de l’association, s’est rendu au début du mois d’avril à ces deux inaugurations. Il raconte.
Inaugurer une école que Solidarité Kosovo a rénovée est toujours un moment très émouvant, qui justifie toutes les difficultés que peut causer la gestion quotidienne de travaux de grande envergue. Il me suffit de voir ces enfants sourire et de les écouter raconter comment leurs conditions de travail ont changé avec ces travaux pour retrouver une énergie incroyable et une envie d’en faire encore plus pour les Serbes des enclaves.
Ces deux inaugurations ont été particulièrement émouvantes, pour une raison très simple : ces deux écoles se trouvent dans deux zones montagneuses difficiles d’accès, l’une au Sud du Kosovo, l’autre au Nord. Élèves et professeurs y reçoivent donc encore moins de visite que la plupart des autres écoles que nous avions rénovées auparavant. Pour ma part, c’était la première fois que je me rendais dans ces deux enclaves, alors que j’ai, en douze ans, largement parcouru le Kosovo.
La première école que j’ai visitée, celle de Gornja Bitinja (photo ci-dessus, après les travaux), près de Strpce, se situe à plus de 1000 mètres d’altitude et à plus de deux heures de voiture de Gracanica, dont une bonne moitié sur des petites routes défoncées par la neige qui recouvre la région plusieurs mois par an. En ce début d’avril, il en restait encore de larges plaques autour de l’école, et les sommets alentours étaient tous encore recouverts.
La centaine d’élèves qui y étudient viennent des montagnes alentours, où leurs parents vivent du travail de la terre. Ils vivent dans des conditions matérielles très rustiques, à cause du climat et de l’isolement.
L’école de Gornja Bitinja n’avait pas subi de travaux depuis près de 40 ans et était dans un piteux état. Les murs rongés par l’humidité laissaient passer des courants d’air frais, les toits fuyaient en plusieurs endroits, certaines fenêtres étaient réparées sommairement avec de l’adhésif. Dans les classes, les poêles à bois avaient noirci les plafonds et les fenêtres.
L’état de délabrement général rendait indispensable de procéder à une rénovation complète en une seule fois. En effet, rien ne sert par exemple de changer des fenêtres si le mur qui les soutient laisse passer l’air et si le chauffage ne marche pas. Si nous avions réalisé des travaux sur un point seulement, l’amélioration aurait été négligeable et les parties nouvellement rénovées se seraient usées à nouveau bien trop rapidement.
Nous avons donc changé toutes les portes et fenêtres, refait toute l’isolation de tout le bâtiment, réinstallé le chauffage central ainsi que des radiateurs dans toutes les pièces, rénové les façades avant de les repeindre et recouvert intégralement le toit. Ce chantier, réalisé par des artisans serbes du Kosovo, a coûté en tout 50 000 euros. Un coût particulièrement élevé qui en dit long sur l’ampleur des travaux.
Une heure de spectacle proposé par les élèves
C’est dans cette école comme neuve que j’ai été magnifiquement accueilli au matin du 3 avril. Ces enfants qui ne voient presque jamais personne vivant à plus de 50 kilomètres de chez eux avaient l’occasion de fêter quelqu’un arrivant d’un pays situé à plus de 2000 kilomètres ! En apprenant ma venue, tous avaient demandé à me présenter quelque chose et n’avaient pas eu besoin d’insister pour que leurs professeurs acceptent.
À mon arrivée, tous les élèves et le personnel de l’école étaient réunis sur le grand escalier au centre de l’école, en face de la porte d’entrée. Je n’ai pu visiter l’école que plus d’une heure plus tard…
Pendant cette heure, certains ont dansé, vêtus du magnifique habit traditionnel de la région et accompagnés par les chants de tous les autres, enfants comme adultes. Ils avaient choisi les danses les plus joyeuses et les plus rythmées et j’ai vu ces enfants oublier quelques instants leur vie difficile et profiter d’un vrai moment de joie pure et innocente. Les professeurs eux aussi, qui ont comme tous les adultes du Kosovo le visage constamment marqués par les soucis et l’inquiétude, ont rapidement été pris à leur tour par cette joie simple, cette joie de voir leurs enfants danser avec enthousiasme ces danses que leurs ancêtres dansaient déjà plusieurs siècles auparavant, malgré d’autres soucis, sous d’autres occupations.
D’autres ont chanté, simplement accompagnés à la guitare par un de leurs professeurs, un chant mêlant comme souvent au Kosovo la joie et la douleur, la fierté et la peine, la paix et la guerre. Et ils chantaient, pour moi bien sûr, mais aussi – et peut-être d’abord – pour eux-mêmes et pour tout le Kosovo. Quand leurs voix se sont tues, un silence presque religieux a perduré pendant quelques secondes, avant que les applaudissement résonnent dans le hall d’entrée.
D’autres enfin ont lu des petits textes qu’ils avaient écrits. Des mots très simples, les plus grands n’ayant que 14 ans, mais plein de sincérité et parfois empreints d’une maturité trop importante pour des enfants de ces âges. L’un en particulier, en forme de poème, disait ceci :
« En classe d’Histoire, on nous apprend que les Français sont nos alliés depuis très longtemps. On le sait dans nos cœurs, même si parfois c’est difficile de le croire parce que la France a participé aux bombardements de l’Otan. Maintenant nous sommes sûrs que c’est vrai, par votre action nos doutes ont disparus : vraiment les Français sont nos amis, nous ne nous trompons pas quand nous le disons. »
Quand on m’a demandé de prendre la parole, je n’ai su dire qu’une chose : « Les enfants, vous avez raison de croire en l’amitié entre nos deux peuples. Pas à cause de moi, mais à cause des milliers de personnes dont je suis l’ambassadeur auprès de vous, les donateurs qui ont financé les travaux de votre école mais aussi tous ceux qui nous envoient, chaque jour, des dizaines de messages pour nous assurer de leur soutien ».
J’ai ensuite pu visiter l’école et observer le résultat des travaux avec le directeur de l’établissement. Un directeur très fier et très ému de me présenter son école, pour laquelle il se bat depuis des années. Après la visite, il m’a entrainé dans son bureau pour trinquer avec toute l’équipe et m’a à nouveau chargé de remercier tous nos donateurs en m’affirmant : « Sans ces travaux, nous aurions sans doute dû fermer l’école dans un ou deux ans. Les parents font de grands sacrifices pour que leurs enfants puissent venir étudier, et tous le font avec joie. Ça m’aurait déchiré le cœur de devoir leur annoncer qu’on ne pouvait plus accueillir nos élèves ».
« Revenez nous voir ! »
Le lendemain, j’étais à l’autre bout du Kosovo, dans le Nord, à une heure de voiture de Mitrovica, dans les montagnes entourant la ville de Zubin Potok, sur la rivière Ibar. Une autre région magnifique mais très isolée. Pas de neige ici mais des montagnes recouvertes de forêts.
L’accueil a été tout aussi somptueux et émouvant que la veille. Aux chants, danses et poèmes se sont ajoutées quelques scénettes de théâtre par lesquelles les enfants m’ont présenté les métiers traditionnels de la région, ceux qui permettent à leurs parents de vivre : travaux du bois principalement, même si bien entendu certains vivent aussi du travail de la terre. D’autres m’ont présenté des contes et légendes de la région ; tous avaient à cœur de me faire découvrir leur identité profonde, cette identité qui puise ses racines loin dans cette terre du Kosovo, cette identité qui fait qu’ils ne veulent pas partir, malgré là aussi des conditions de vie très difficiles.
Et sur les visages, j’ai vu cette même joie détendre pendant une heure ces visages habituellement marqués par l’angoisse. Pendant une heure, à nouveau, nous avons oublié les persécutions, les difficultés matérielles, la peur du lendemain.
Puis ce fut à nouveau la visite des travaux. Là aussi, il a fallu tout refaire de fond en combles : isolation, chauffage, peinture, fenêtres et portes, toilettes, chauffage central. Là aussi, ça faisait des dizaines d’années que rien n’avait été fait. Les travaux ont couté plus de 35000 euros.
Ces deux inaugurations ont été particulièrement émouvantes pour moi : chacun des enfants et des adultes que j’y ai rencontré a fait de son mieux pour m’accueillir comme un invité de marque, de façon encore plus flagrante que dans les autres écoles que Solidarité Kosovo a rénovées et que j’ai eu la joie d’inaugurer. Cela est dû à l’isolement dans lequel se trouvent ces écoles, qui transforme chaque visite en un événement exceptionnel.
Je pense que je me souviendrai longtemps des sourires de ces enfants, de ce qu’ils m’ont dit, de ce qu’ils ont chanté ou dansé pour moi. Et j’espère avoir l’occasion de répondre à la demande qui m’a été faite par plusieurs d’entre eux, à Zubin Potok comme à Gornja Bitinja : « Revenez nous voir, même s’il n’y a plus de travaux à faire dans notre école, même si vous ne pouvez rien nous apporter. Revenez nous voir ! »