– « Existe til des cartes routières du Kosovo ? »
– « Non il n y en a pas ici. »
Je ne suis pas très rassuré à ce moment là : je vais donc devoir me rendre seul, sans carte, dans une enclave Serbe au Sud de Mitrovica (Banja). Mon envie de revoir ce village et cette crèche où le Noël dernier nous avions offert de nombreux jouets aux enfants, atténue mon appréhension. Le lendemain je traverse le pont de Kosovska Mitrovica et je rentre dans la partie albanaise de la ville. Le premier édifice que japerçois quelques centaines de mètres plus loin est une immense mosquée avec un minaret dune trentaine de mètres, fait de carreaux blancs. Au sommet trône le croissant de lIslam. Ce qui me frappe le plus, cest que tout autour de moi je vois des Européens, je ne vois pas des Turcs ou des Maghrébins, non, ces enfants là sont blonds, ces femmes sont brunes aux yeux clairs. Pourtant tous ces gens sont musulmans, les mosquées sont pleines et lon aperçoit dans la rue de nombreux « barbus », face visible de liceberg Wahhabite qui ne cesse de prendre de limportance au Kosovo.
Je roule maintenant depuis 20 minutes sur une route non goudronnée lorsque je débouche sur un village en cul de sac. Labsence de carte et des indications orales auront eu raison de mon sens de lorientation : ce village nest pas Banja mais un village albanais. Pas le temps de faire demi-tour, deux hommes dune trentaine dannées sapprochent pour me parler. Un regard rapide vers mon poignet me rassure : jai bien laissé mon bracelet serbe à Mitro. Ils me parlent en Anglais, je leur réponds dans cette langue en espérant au plus profond de moi ne pas laisser échapper un mot ou une expression en Serbe : après 15 jours dimmersion totale certains mots ou certaines expressions sont devenus des automatismes.
– «Ces affaires dans le coffre cest pour qui ? »
– « Cest pour une école .»
– « Serbe ou Albanaise ? »
Surtout ne pas se tromper. Leurs mines et leurs regards me prouvent quune mauvaise réponse pourrait m’apporter de gros, et même de très gros ennuis
– « Albanaise bien sûr ! »
Ils mindiquent alors la route que je dois prendre pour me rendre au prochain village qui dispose dune école. Une fois libre, je prends résolument la direction opposée. Jarrive enfin à Banja, ce village serbe peuplé de 200 personnes, entouré de terres albanaises. Je dépose le matériel scolaire à la crèche, qui fait également office décole maternelle. Les pinceaux, la peinture et les jouets ravissent la directrice de lécole qui me remercie chaleureusement. Le soir, je suis invité à une fête de famille. Cest une tradition ici : chaque année à la même date, les Vankouvitch invitent famille et amis dans leur modeste maison. Mais quel régal et quelle ambiance ! Après quelques morceaux de jambon, plusieurs verres de Chlivovitsa et de nombreux chants serbes on oublierait presque que nous sommes dans une enclave, cest-à-dire dans une véritable prison à ciel ouvert doù lon ne peut sortir une fois la nuit tombée. Ce soir, tout le monde dormira donc ici. Hors de question de rentrer sur Mitrovica en pleine nuit : les routes ne sont pas sûres lorsque lon est Serbe.
Cest le cur plein de souvenirs et des projets plein la tête pour le prochain Noël dans les enclaves que je rentre le lendemain sur Mitrovica..
Ce soir là, il y a de lambiance à Mitro Nord. Les étudiants sont dans la rue, accompagnés dune fanfare. Ils célèbrent la fin de leurs examens. Rien de comparable avec les fêtes étudiantes que jai pu connaître en France. Ici le drapeau national flotte, les gens chantent et les voitures klaxonnent. Mais soudain le cortège se met en route. Il prend la direction du pont. La fête tourne en manifestation spontanée et, à proximité du pont, ce sont 300 étudiants qui drapeau en main crient « Kosovo je Srbija » (le Kosovo cest la Serbie), « Kosovo je srpsko » (le Kosovo est Serbe). Les soldats de lONU sont aux aguets, un peu crispés : il ne faudrait pas que la situation semballe. Mais finalement la soirée restera calme, le cortège fait demi-tour et se disperse peu de temps après.
Je vais alors me préparer pour une nuit serbe à Mitrovica. Une nuit qui, comme les précédentes, renforcera mon sentiment et ma fierté dêtre Européen.
Arnaud Gouillon