Zivojin Rakocevic est un écrivain, journaliste et poète serbe, vivant à Gracanica au Kosovo. Il est aussi l’actuel directeur du centre culturel de Gracanica, dans lequel Solidarité Kosovo finance des travaux de rénovation importants. À cette occasion, nous lui avons demandé de nous raconter quelques épisodes importants de sa carrière et de sa vie, qui se mèle intimement à l’histoire récente du Kosovo-Métochie.
Pour Zivojin Rakocevic, ce poste de directeur du centre culturel de Gracanica est la suite logique de son engagement en faveur de son peuple, martyrisé au Kosovo. Il explique : « Nous avons été chassés de nos villes et vivons dans des enclaves. Nous avons presque tout perdu. La dernière chose que nous ne devons surtout pas perdre, c’est notre culture : c’est elle qui nous permet de conserver notre liberté dans cette situation terrible. Tous les artistes serbes au Kosovo ont eux aussi tout perdu : leurs galeries, leurs ateliers et la possibilité de travailler au milieu des leurs, en allant à la rencontre des gens. Cette nouvelle galerie permettra à de nombreux artistes, notamment des jeunes, de présenter leur travail. Les spectateurs, eux, pourront venir chercher ici des connaissances et découvrir le travail de ces artistes, pour conserver leur culture ».
« Chaque année, nous organisons environ 1500 événements, dans le centre culturel ou en-dehors. Ce sont des événements liés à a littérature, au cinéma, à la peinture, à la danse, au théâtre… peu importe. Ça peut être d’envoyer une troupe de théâtre jouer dans plusieurs enclaves pour aller à la rencontre des gens qui ne peuvent pas venir jusqu’à nous, comme nous l’avons fait il y a quelques années avec Solidarité Kosovo. Ces dernières années, nous avons organisés de nombreux événements sur le thème « peur et culture dans les enclaves ». Un psychologue était là à chaque fois pour permettre aux gens de parler de leur expérience… »
Fêter l’amitié franco-serbe
Zivojin Rakocevic se réjouit de ces travaux et annonce une inauguration prochaine : « Toutes les nouvelles activités du centre culturel seront dévoilées le 1er juin, avec l’inauguration de l’exposition du peintre franco-serbe Milos Sobajic. Ce sera un événement majeur dans la région. Nous sommes heureux que cette inauguration soit aussi une occasion de renforcer les liens d’amitié avec la France ».
« Il sortait sur le pas de sa porte, s’appuyait sur le chambranle et observait ses ouailles, d’un regard sans cesse pétillant, comme un grand-père observe ses petits-enfants déballer leurs cadeaux au matin de Noël. »
Sur cette amitié franco-serbe, Zivojin Rakocevic n’hésite pas à reconnaître qu’elle l’a beaucoup blessé pendant la guerre : « Je dois avouer qu’à cause des bombardements (auxquels l’aviation française a pris part, ndlr), j’ai ressenti beaucoup de colère à chaque fois que je voyais la plaque commémorative de l’amitié franco-serbe qui a été posée sur une fresque du monastère de Gracanica. Pourtant, je connais bien l’histoire d’Hélène d’Anjou, qui en épousant le roi Milos il y a 700 ans a construit les bases de cette longue amitié. Mais j’étais en colère, je ne comprenait pas, et je voulais enlever cette plaque ».
Cette colère s’est transformée instantanément à la fin de l’année 2004, quand Zivojin Rakocevic a rencontré un groupe de jeunes Français : « Peu de temps après les pogroms, l’église m’a contacté pour m’informer que des Français étaient venus nous apporter de l’aide. Il faisait nuit, il n’y avait plus d’électricité. À la lueur des bougies, j’ai aperçu ces Français et je me suis dit : « Mon Dieu, ce sont des enfants, que font-ils ici ? » J’ai eu peur pour eux et j’ai tout de suite voulu les protéger, pour qu’ils puissent rentrer chez eux en sécurité. Et quand ils sont partis, je pensais qu’ils ne reviendraient jamais ». Ces « enfants », parmi lesquels se trouvait Arnaud Gouillon, venaient de créer Solidarité Kosovo…
Dans une cour, un cochon, pendu par les Albanais
Cette rencontre est intervenue quelques mois à peine après les pogroms antiserbes de mars 2004. Alors journaliste, Zivojin Rakocevic a parcouru tout le Kosovo dans les jours qui ont suivi les attaques. Il en garde des souvenirs terribles : « Je me souviens de la ville de Prizren incendiée, avec de nombreuses églises détruites entièrement, et les mots « morts aux Serbes » sur les ruines de la cathédrale Saint-Georges. Je me souviens des cimetières profanés, des écoles et des bibliothèques détruites. Je me souviens de l’enseignante Dobrila Dolasevic qui a été passée à tabac et brûlée vive, et dont le corps a été amené devant le camps de la Kfor. Je me souviens des maisons détruites, des champs brûlés et des animaux tués ; à Obilic, dans la cour de la famille Todorovic, un cochon était pendu. Ces images restent comme si c’était hier, je ne les oublierai jamais. Certains ont dit que c’était comme la nuit de la Saint-Bathélémy, que ça a été le pire crime en Europe depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale, et je crois que c’est vrai. Nous avons tout perdu en deux jours, tout ce qui comptait pour nous a été détruit, ou au moins attaqué et abîmé… »
Ce travail de mémoire continue, et le centre culturel est un des acteurs principaux d’un large travail de recherche des personnes disparues avant, pendant et après la guerre. « Devant le centre culturel, il y a ce monument, « MISSING », qui représente toutes les personnes disparues sans laisser la moindre trace. Il est hélas probable que ces victimes n’obtiennent jamais justice, mais nous essayons au moins de savoir ce qu’elles sont devenues. Mais même ça, nous savons que nous ne le pourrons pas dans tous les cas : beaucoup de ces personnes ont été victimes de trafic d’organes et ne pourront sans doute jamais être retrouvées. Jusqu’au bout, nous essaierons quand même… »