« Heureux les artisans de paix », portrait du Père Ilarion, moine à Draganac

Lors de son dernier séjour au Kosovo, au début du mois d’avril, Arnaud Gouillon était accompagné d’un volontaire, qui a découvert à cette occasion le monastère de Draganac et le Père Ilarion. Il raconte.

Aller au monastère de Draganac est en soi une aventure : en quittant la ville de Gnjilane, on s’enfonce directement dans les montagnes, sur une route mal entretenue qu’on quitte au bout de quelques kilomètres pour s’engager sur un chemin qui serpente dans une vallée encaissée. Au bout du chemin, la grande porte du monastère apparaît derrière un dernier virage.

À l’intérieur, le Père Ilarion nous attend. Derrière sa longue et épaisse barbe brune, son visage rayonne d’une grande douceur. Il se dirige vers moi, et me salue… dans un français impeccable ! Voir ce grand moine serbe orthodoxe parler ma langue dans ce coin totalement isolés, après plusieurs jours à n’entendre que parler serbe, a été une sacrée surprise pour moi.

Mais j’ai bien vite découvert que ce n’est pas la seule surprise que cache le Père Ilarion. En effet, l’Igoumène (Père Abbé) du monastère de Draganac a une histoire exceptionnelle qui mérite d’être racontée.

« C’est là que je devais être. »

À 22 ans, Rastko Lupulović – le nom de baptême du Père Ilarion – a une vie bien éloignée de celle d’un moine : « J’avais tout ce que les jeunes garçons rêvent d’avoir, explique le Père Ilarion : la gloire, l’argent, l’admiration de tous ». Jeune, beau, charismatique : le jeune homme a déjà derrière lui une belle carrière d’acteur. Il a tourné dans plusieurs films à succès et a remporté le prestigieux Prix Sterijia. Mais ce n’est pas tout : il est aussi membre du groupe de rock « Kanda, Kodža i Nebojša », qui lui aussi enchaine les succès et fait des concerts dans toute la Serbie.

« Pourtant, je sentais que tout ça ne me rendait pas vraiment heureux. J’avais une vie pleine de plaisirs, mais je ne trouvais pas le vrai bonheur. Et plus le temps passait, plus je sentais que je ne le trouverais pas dans cette vie-là. »

Comme tous les jeunes Serbes, il est profondément marqué par la guerre de 1999. Pour lui, c’est un déclic : « Je me suis senti poussé à aller vivre au Kosovo auprès de mes frères Serbes d’abord, mais aussi pour essayer d’y apporter la paix ». En 2000, il quitte tout ce qu’il a et devient moine au monastère de Visoki Decani. Un choix héroïque alors que la situation au Kosovo, et dans cette partie du Kosovo tout particulièrement, est encore explosive. « C’est là que je devais être. Le jour où j’ai pris cette décision, j’ai été immédiatement apaisé, j’ai su que c’était ce que je devais faire. »

Un moine, enlevé, est retrouvé décapité

Rastko Lupulović devient Frère Ilarion. Le jeune homme riche et célèbre en quête du bonheur devient un moine comme les autres, isolé dans une enclave du Kosovo, qui ne cherche plus que la sainteté. Très vite, on lui donne une mission d’une importance fondamentale : il ira diriger le monastère de Draganac, dans l’Est du Kosovo. Le danger était grand à Decani, il l’est tout autant à Draganac : depuis la guerre, deux moines ont été enlevés et tués. L’un sera retrouvé décapité, l’autre n’a toujours pas été retrouvé.

Dans cette région vivent 30 000 Serbes, qui ne restent que parce que les moines de Draganac restent. Le monastère est leur ancre, ils s’y accrochent avec énergie. Les moines le savent bien : « Pour rien au monde nous ne quitterons le monastère, dit le Père Ilarion. D’abord parce que nous savons que nos frères Serbes comptent sur nous, mais aussi parce que nous voulons montrer à nos voisins albanais que nous voulons vivre ici ensemble, en paix, dans le respect de nos différences. Notre monastère est un lieu saint ouvert à tous les hommes de bonne volontés. Notre rôle est de témoigner de l’Évangile, et nous le faisons en aimant toute personne qui vient nous voir ».

Alors que sonne l’heure du départ, j’ose lui poser la question : « Mon Père, y a-t-il quelque-chose que vous regrettez de votre vie d’avant ? » Il m’a souri, m’a regardé droit dans les yeux et m’a répondu : « Non, rien. C’est maintenant que je suis vraiment heureux ».