Le convoi de Noël 2012 avait quelque chose de différent par rapport aux 23 autres organisés depuis 2004 par Solidarité Kosovo. Ce convoi était exceptionnel. Exceptionnel de par sa portée tout d’abord : 50m3 de matériel neuf dont la valeur dépasse les 130 000€. Exceptionnel de par l’organisation qu’il a demandé : un an de démarches intensives auprès d’entreprises bienfaitrices, plusieurs semaines de tri à l’entrepôt de l’association, et enfin la mise en place du transport international par poids-lourd de France jusqu’au Kosovo. Exceptionnel aussi de par sa réussite : en seulement cinq jours, les bénévoles français ont pu délivrer les colis humanitaires à des centaines de familles dans le besoin et ont visité pas moins de douze enclaves et monastères. Plusieurs écoles ont reçu le matériel scolaire dont elles manquaient et deux clubs de sport ont été entièrement équipés par nos soins. Du matériel humanitaire au service du corps comme de l’esprit.
Le récit de ce voyage, c’est celui de l’aventure de huit jeunes français qui ont décidé de passer Noël loin de chez eux, au Kosovo, aux côtés des populations serbes dans le besoin.
« Ce dimanche 25 décembre 2012, j’apprends la bonne nouvelle par la voix du diacre Bojan, permanent du bureau humanitaire de Gracanica : « le camion envoyé de France vient d’arriver au Kosovo! ». Le « ouf » de soulagement que je lâche exprime à lui seul toutes les difficultés qu’un tel transport représente. Envoyer 50m3 d’aide humanitaire au Kosovo n’est pas une mince affaire, même après de nombreuses années d’expérience en la matière. La situation politique est instable et les procédures douanières changent en permanence. Un nouvel accord sur l’intégration des frontières venait justement d’être appliqué au début du mois de décembre, laissant craindre de possibles complications lors du passage de notre poids-lourd. Un retard de livraison aurait compromis notre convoi car les bénévoles français avaient tous posé des jours de congés bien précis auprès de leurs employeurs : du 26 décembre au 2 janvier.
Le lendemain de Noël aux aurores, l’équipe de Solidarité-Kosovo se retrouve à Grenoble pour un départ à la fraîche en direction du Kosovo. Nous sommes huit. Huit bénévoles de différentes régions animés par le même désir d’aider ces Chrétiens d’Occident persécutés au Kosovo. Pour certains d’entre eux, il s’agit du premier voyage au pays des enclaves serbes !
C’est le cas de Bernard, bénévole parisien de l’association que l’équipe élira officiellement en fin de séjour « boute-en-train du voyage » en hommage à son humour toujours de bon aloi ; de Renaud et de Vincent, eux aussi de Paris et qui ont à cœur de faire connaître en France la situation des minorités du Kosovo. Vincent se fera rapidement surnommer « Ilarion » par les Serbes, en raison de sa longue barbe le faisant ressembler à un moine du Kosovo que nous connaissons bien et ainsi prénommé. C’est aussi le premier voyage pour Jean-Pierre, de Cahors, l’aîné du convoi. Jean-Pierre a passé cette année 2012 à contacter les entreprises, dans le cadre du mécénat mis en place par Solidarité-Kosovo. Il a réussi le tour de maître de dégoter des palettes entières de matériel neuf ! Aux côtés des « nouveaux », une partie de la vieille équipe est également présente, avec comme toujours Allen à la photo et Maxime à la logistique. Mon frère Bertrand, présent depuis les premiers convois, est là pour m’épauler tout au long du périple.
Restée en France, Ivana assure le suivi du convoi, informant les familles de la progression de nos camions et rédigeant les communiqués à l’intention de nos donateurs.
En se relayant derrière le volant sans cesse, durant 24h, notre équipe franchit successivement l’Italie, la Slovénie, la Croatie puis enfin la Serbie. Ce n’est que dans l’après-midi du 27 décembre que nous arrivons enfin au Kosovo. L’épais brouillard qui recouvre régulièrement cette région a fortement compliqué la fin du voyage. Il nous a même valu un accrochage qui a fait éclater le pneu ainsi que la jante d’une voiture ! Nous terminons notre périple en roulant en galette jusqu’à destination.
Après un accueil chaleureux à Gracanica, comme seuls les Serbes en ont le secret, nous passons immédiatement à la planification des distributions. Nous déterminons avec Bojan les zones à visiter et les besoins particuliers des familles les plus pauvres. A l’aide d’une vieille carte de la Yougoslavie nous préparons le tracé que nous suivrons dans les prochains jours.
Chaque jour, nous allons effectuer le même rituel. Depuis notre bureau de Gracanica, nous nous rendons à Novo Brdo pour rejoindre l’entrepôt où est stocké tout le matériel humanitaire envoyé quelques jours plus tôt. C’est ici que de jour comme de nuit et bien souvent sous la pluie (cette année ne fût pas la plus clémente en terme de climat) nous chargeons les tonnes de vêtements, de jouets et de matériel scolaire et sportif. L’équipe, bien que fatiguée par toute cette manutention, a su rester exemplaire et efficace.
Le soir du 28 décembre, alors que la nuit est tombée depuis un bon moment et après avoir parcouru quelques centaines de kilomètres sur les routes défoncées du Kosovo, j’annonce que nous devons recharger trois véhicules supplémentaires pour la journée du lendemain. Plus d’un aurait rechigné à la tâche, préférant rester bien au chaud dans un restaurant confortable. Mais nos bénévoles ne sont pas de cette trempe là ! Ils sont là par conviction et ont à cœur de donner le maximum d’eux mêmes pour cette cause noble et juste. Comme un seul homme et sans piper mot, l’équipe se met au travail et charge trente mètres cubes supplémentaires en préparation d’une journée en Métochie qui allait être inoubliable…
La Métochie est cette zone située à l’ouest du Kosovo qui signifie littéralement « la terre de l’Église ». Cette terre est malheureusement devenue au fil des ans la terre la plus inhospitalière pour les Serbes et moines orthodoxes qui y vivent, le plus souvent reclus derrière quatre murs. C’est ici que j’ai découvert en 2005 la réalité des « enclaves », ces villages d’Asterix desquels les habitants ne peuvent sortir sans risquer des ennuis. Le premier village que j’avais découvert alors s’appelait Banja. J’avais été émerveillé par le charme des maisons en torchis construites d’un côté et de l’autre d’un ruisseau qui fournissait autrefois une énergie naturelle qui faisait tourner les moulins à blé. Tout cela contrastait avec le sentiment d’insécurité qui régnait à la nuit tombée, les vols et les agressions contre les Serbes n’étant malheureusement pas chose rare dans cette région. A Banja vivent encore 150 habitants dont une quarantaine d’enfants, signe d’espoir s’il en est.
C’est pour moi un véritable plaisir de revenir à Banja et de voir les enfants grandir d’année en année. Il y a 8 ans, les adolescents auxquels nous donnons aujourd’hui du matériel de sport ou des fournitures scolaires étaient des enfants auxquels nous donnions des Playmobils…
Dans les villages voisins, à Suvo Grlo ou Crkolez, nous rencontrons de jeunes mères qui étaient encore à l’école lors de notre première venue. Ce sont désormais leurs enfants, nés ici au Kosovo malgré les difficultés, qui reçoivent de nos mains leurs tous premiers cadeaux de Noël. Après huit ans de travail, nous commençons à aider la deuxième génération d’enfants au Kosovo ! C’est à mes yeux la plus belle récompense pour notre engagement durable et régulier.
A la fin de cette journée en Métochie, alors que la nuit est déjà là, nous décidons de nous rendre au monastère de Visoki Decani, situé à une bonne heure de route, pour y passer la nuit.
A chacune de mes venues à Visoki Decani je ressens cette même sensation indescriptible de joie mêlée à de la tristesse. Joie de revoir mes amis les moines avec lesquels j’apprécie de discuter de longues heures sur des sujets aussi divers que le Kosovo, l’histoire des civilisations ou bien l’éthique… Ces moines ont une culture immense. Leur ouverture d’esprit contraste de manière saisissante avec l’environnement fermé et brutal qui les entoure. Visoki Decani est bien un îlot de paix au milieu d’un océan de haine. Seuls, isolés et protégés 24h/24 par des militaires italiens, ces moines sont les derniers gardiens de la tradition chrétienne et européenne au Kosovo. Nous profitons de notre passage dans ce lieu sacré pour nous ressourcer et nous reposer.
Après une nuit calme et réparatrice, toute l’équipe assiste à la liturgie matinale dans la magnifique église du 14ème siècle classée au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Le chant des voix graves des moines raisonne sur les nombreuses voûtes de l’église éclairée par la lumière des cierges et du soleil levant. C’est un spectacle inoubliable pour quiconque y assiste ne serait-ce qu’une seule fois !
Pressés par le temps, nous ne pouvons malheureusement rester plus longtemps. Nous avons encore de nombreuses distributions à effectuer avant le soir. Aidés par les moines, nous déchargeons un véhicule de matériel au monastère. Les colis humanitaires seront distribués dans les prochains jours aux familles que nous n’avons pas eu le temps de visiter. Nous reprenons notre route en direction de l’Est du Kosovo, à quelques 200km de Visoki Decani. Là-bas, nous allons découvrir un village auquel nous n’avions jamais eu accès jusqu’alors.
Près de Kosovska Kamenica, à l’extrême Est du Kosovo, nous découvrons un village de montagne isolé du reste du monde. Ici nos véhicules ont du mal à se frayer un chemin. Les routes en terre ont été labourées par le passage régulier de troupeaux de brebis décharnées. Les huit familles du hameau que nous rencontrons sont toutes composées de réfugiés. Ils ont été chassés dix ans plus tôt de leurs maisons situées de l’autre côté du col à quelques kilomètres de là… Depuis une décennie ils vivent ici, en semi-autarcie et sans l’aide de personne. La souffrance causée par la solitude et l’abandon est encore plus criante que la misère dans laquelle ils vivent. Les gosses sont en sandales dans la boue, les pieds simplement protégés du froid par de grosses chaussettes de laine. Notre aide est la première qu’ils reçoivent. Notre amitié et notre soutien sont les premiers gestes d’humanité qu’on leur offre depuis toutes ces années. Savoir que nous sommes venus de France pour les aider réchauffe le cœur de ces paysans hagards à qui la vie n’a pas beaucoup souri. Les nombreux enfants de ces familles reçoivent jouets, ballons et matériel scolaire tandis que nous donnons aux parents suffisamment d’habits chauds et résistants pour passer un hiver à l’abri des besoins matériels.
Une mère de famille s’approche de moi pour me dire une phrase que j’ai malheureusement trop de fois entendue au Kosovo « revenez nous-voir, même si vous n’avez rien à nous offrir. Ici nous sommes seuls ». On ne réalise pas suffisamment combien la solitude et l’isolement sont parfois plus durs à supporter que la pauvreté matérielle.
Durant cinq jours, du matin jusqu’au soir, nous allons à la rencontre de ces familles des enclaves. A chaque fois la même émotion et le même accueil nous attend. Aucune fioriture mais beaucoup de cœur. Ils nous accueillent simplement comme le frère accueille le frère, avec gentillesse, joie et bonne humeur. Ils n’ont rien mais veulent tout nous donner. Dans chaque enclave, on réunit les enfants et on leur distribue les cadeaux, puis l’on donne les vêtements aux parents. Aucun des bénévoles français n’oubliera ces visages d’enfants qui s’illuminent en saisissant peluches, poupées, voitures, robots de l’espace… Jamais nous n’oublierons ces sourires de joie, ces petites filles qui se mettent à bercer amoureusement leur poupée, ces petits garçons qui courent vers leur mère en riant pour exhiber leur nouveau jouet. Ce sont ces souvenirs que nous garderons à jamais en mémoire et qui, dans les moments les plus durs, nous redonnerons la force de continuer cette belle aventure commencée voici huit ans.
Durant ce convoi au Kosovo nous n’étions pas simplement huit bénévoles venus apporter une aide indispensable à une population en souffrance. Nous étions vos représentants, les représentants de milliers de Français qui nous soutiennent dans cette cause juste et noble. C’est en votre nom à tous que nos messages de solidarité et de soutien ont été transmis à ces Chrétiens enclavés au Kosovo. Chacune de vos pensées, chacune de vos prières sont reçues comme un signe d’espoir. C’est désormais à notre tour de vous transmettre un immense merci de la part de ces familles serbes du Kosovo ! Ensemble nous ferons en sorte que 2013 soit une année remplie de nouveaux projets, de réussites et de solidarité ! »
Arnaud Gouillon
Fondateur de Solidarité Kosovo