C’est une actualité brûlante qui embrase les Balkans. Parrainées par l’Albanie voisine, les autorités du Kosovo veulent devenir membre de l’UNESCO*. Une candidature qui selon Belgrade déclenche les hostilités contre la Serbie et son patrimoine religieux au Kosovo-Métochie.
Une course diplomatique albanaise bien rodée
En septembre dernier, l’Albanie a déposé une demande auprès du Conseil exécutif de l’Organisation des Nations Unies (ONU) demandant à ce que la candidature d’adhésion du Kosovo à l’UNESCO soit inscrite à l’ordre du jour de sa prochaine séance. Le 7 octobre courant, sans difficulté notoire, la proposition albanaise a obtenu le sésame indispensable pour poursuivre sa course diplomatique grâce au vote favorable de ses fidèles alliés, la Turquie, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite tout comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France. Fort de ses 18 premiers soutiens, le Kosovo briguera son admission à l’UNESCO le 3 novembre prochain à l’occasion du vote ultime de la Conférence générale à Paris.
Le plaidoyer serbe peine à être entendu
D’ici là, il reste à la Serbie peu de temps et beaucoup d’interlocuteurs à convaincre des répercussions nuisibles sur le terrain d’une telle adhésion. Lors d’une conférence diplomatique à Belgrade, le président serbe, Tomislav Nikolic, a rappelé que son peuple compte depuis plus de vingt ans sur l’aide de l’Unesco pour protéger le patrimoine historique et culturel chrétien au Kosovo lequel étant en permanence la cible d’attaques et de destruction. Le dialogue entre Belgrade et Pristina, déjà bien fragile, pourrait lui aussi souffrir de la situation. Le ministère serbe des Affaires étrangères a d’ores et déjà qualifié cette candidature de «manœuvre unilatérale qui éloigne davantage la possibilité d’une stabilisation régionale ». Le ministre délégué, Ivica Dacic avait déclaré devant le Conseil de sécurité de l’ONU que «ceux qui profanent et détruisent l’héritage serbe et chrétien […] cherchent à devenir membre de l’UNESCO avec une tape sur l’épaule en signe de récompense» avant de conclure que « le Kosovo à l’UNESCO, ce serait comme si l’Etat islamique en devenait membre ».
La détermination de la communauté orthodoxe du Kosovo : le témoignage du père Janjic
Loin des ballets diplomatiques et des discours onusiens, l’Église orthodoxe du Kosovo s’exprime sur cette candidature qui la concerne au premier chef. Solidarité Kosovo a choisi de faire partager à ses lecteurs l’interview accordée par le père Sava Janjic, archimandrite du monastère de Visoki Decani en la traduisant du serbe vers le français.
Question – L’UNESCO va en prochainement débattre de l’adhésion du Kosovo en son sein, quelles sont vos attentes et vos ressentis à la veille de cette échéance?
Réponse de père Sava Janjic – Nous espérons que d’ici à l’assemblée générale de l’UNESCO du 3 novembre de nombreux pays entendent notre voix, nous qui vivons dans des bâtiments que l’UNESCO protège. L’UNESCO en tant qu’entité n’assure pas elle-même la protection des bâtiments culturels mais confie cette mission de protection aux États membres. Nous sommes particulièrement inquiets parce que le Kosovo ne respecte déjà pas la plupart des dispositions du plan Ahtisaari** adopté à Vienne en 2007. Plus récemment, un nouveau projet de loi prévoit même de déclarer tout bien culturel « propriété de l’Etat du Kosovo », ce qui signifie l’expropriation forcée de notre patrimoine chrétien.
Question – Qu’adviendront les sanctuaires serbes si le Kosovo devenait membre de l’UNESCO?
Réponse de père Sava Janjic – Cela nous rendrait la vie bien plus difficile. Si cette décision hâtive venait à être prise, elle ferait de l’UNESCO un jouet aux mains des forces politiques locales qui tenteraient d’amortir un nationalisme doublé d’un fondamentalisme islamique croissant au Kosovo. Nous serions tous perdants à long terme. Une chose est sûre c’est que nos sanctuaires resteront serbes jusqu’au dernier moine ou moniale qu’ils abriteront. S’ils veulent nous chasser, ils devront le faire par la force et cela devant les yeux du monde entier.
Question – Dans l’enclave d’Orahovac, l’église a été lourdement caillassée ; à Pristina, l’Église du Christ Sauveur est menacée de destruction ; les institutions de Pristina menacent la vie et la présence des Serbes du Kosovo. Comment doivent-ils réagir ?
Réponse de père Sava Janjic – Notre évêque, Monseigneur Théodose, les communautés paroissiales et monastiques conseillent continuellement à notre peuple d’être courageux, solidaire et déterminé comme l’ont été nos ancêtres qui ont vécu pendant cinq siècles sous le joug ottoman et survécu à deux guerres mondiales. La situation est difficile mais nous devons être dignes de nos ancêtres et ne pas abandonner nos sanctuaires et nos villages. Nous nous battrons avec tous les moyens légaux à notre disposition et nous continuerons à témoigner des actes de vandalisme, de violence et de discrimination qui nous seront infligés. Le jugement de Dieu est inévitable et nous serons tous jugés. Quant à l’Église du Christ Sauveur, elle restera là où elle se trouve à moins qu’ils ne la détruisent devant les yeux du monde entier. Se faisant ils détruiront également leurs rêves car l’Europe les considérera alors comme une création islamique et donc une menace pour la civilisation occidentale.
Question – L’UNESCO a accepté l’idée de « casques bleus » de l’ONU qui protègeraient le patrimoine culturel mondial des attaques perpétrées par les islamistes. Pour autant, avec l’adhésion du Kosovo, l’UNESCO est prête à mettre les sanctuaires chrétiens entre les mains de ceux qui les ont détruit durant des années ?
Réponse de père Sava Janjic – Dieu merci, le monastère de Visoki Decani, continue d’être sous la protection de la Kfor*** et nous espérons que cela sera encore le cas à l’avenir. Suites aux inscriptions islamistes taguées sur notre portail et aux menaces proférées à notre encontre, la protection a été renforcée par rapport aux années précédentes. En ce qui concerne nos autres sanctuaires au Kosovo-Métochie, ils sont placés sous la protection de la police du Kosovo. S’ils s’avèrent qu’elle ne remplit correctement sa mission, nous n’hésiterons pas à demander le renfort des forces de la Kfor ou des « casques bleus ». Le seul fait que nos sanctuaires religieux soient inscrits sur la liste du patrimoine mondial en péril témoigne clairement de la réalité dans laquelle nous vivons.
Question – La Cour suprême du Kosovo vient de déposséder le monastère de Visoki Decani de cinquante pour cent de son domaine?
Réponse de père Sava Janjic – Après deux jugements antérieurs confirmant et reconnaissant la propriété du monastère sur les vingt hectares en litige, la cour d’appel du Kosovo et deux tribunaux internationaux (pour la première fois avec une majorité albanaise) ont cassé et annulé ces deux jugements. Cette décision discriminante annonce non seulement l’expropriation du patrimoine de Visoki Decani mais également de l’ensemble des propriétés des terres religieuses orthodoxes du Kosovo dans un avenir proche.
Interview du père Sava Janjic pour le journal Alo! publiée dans l’édition du 19 octobre 2015
*L’agence de l’ONU pour l’éducation, la science et la culture
**Les autorités albanaises du Kosovo ont proclamé l’indépendance en s’engageant à mettre en œuvre les dispositions du plan Ahtisaari dans leur Constitution. La Constitution du Kosovo adoptée en avril 2008 et entrée en vigueur le 15 juin 2008 renvoie donc aux dispositions de ce plan. Celui-ci comprend des dispositions notamment en matière de protection des minorités et d’Etat de droit. Il prévoit des garanties pour la minorité serbe et une décentralisation très poussée. Il comprend également des dispositions relatives au système judiciaire, au patrimoine religieux et culturel, à la dette extérieure, aux biens et archives, au secteur de sécurité, à la présence militaire internationale et au programme législatif.
***la force de l’OTAN au Kosovo