Père Milenko, mémoire de Velika Hoca

Le 1er septembre, le Père Milenko a fermé le coffre de sa voiture, où il venait de déposer un dernier carton, a fait un geste de bénédiction aux gens réunis là, puis est monté dans sa voiture et a pris la route qui mène à Orahovac. Après plus de 34 ans au service des habitants de Velika Hoca, le Père Milenko prenait sa retraite et quittait ce village dont il était devenu une des figures marquantes.

C’est un souvenir que presque tous nos volontaires partagent, en tout cas tous ceux qui ont déjà fait une distribution sur la place principale de l’enclave de Velika Hoca : alors que l’installation se terminait et que les enfants commençaient à s’aligner pour recevoir leurs cadeaux, il sortait sur le pas de sa porte, s’appuyait sur le chambranle et observait ses ouailles, d’un regard sans cesse pétillant, comme un grand-père observe ses petits-enfants déballer leurs cadeaux au matin de Noël. La distribution finie et les cartons rangés, il nous invitait à entrer dans la pièce principale de son habitation, où attendait un repas généreux. Aidé de sa femme, Rada ,et parfois de son fils (prêtre lui aussi, à Kosovo Polje) et de sa bru, il nous servait, veillant à ne jamais laisser nos assiettes vides.

« Je suis allé deux fois au Kosovo-Métochie et le repas à Velika Hoca reste un souvenir marquant de ces deux séjours, raconte Thibaud, ancien volontaire de Solidarité Kosovo. Je me souviens que le Père nous avait longuement parlé du Kosovo et de son importance pour tous les Serbes. Il parlait vite et utilisait des notions compliquées, notre camarade qui traduisait avait parfois du mal à suivre, et le Père semblait s’en amuser. C’était à la fois amusant et touchant. »

« Il sortait sur le pas de sa porte, s’appuyait sur le chambranle et observait ses ouailles, d’un regard sans cesse pétillant, comme un grand-père observe ses petits-enfants déballer leurs cadeaux au matin de Noël. »

Le sacerdoce du Père Milenko a été marqué par deux grandes tragédies. Quand il est arrivé à Velika Hoca en 1986, les prêtres étaient interdits de prêcher publiquement par le pouvoir communiste. « Les gens se faisaient baptiser, se souvient Milenko , mais avaient peur d’aller à l’église. Et nous n’avions pas le droit d’aller chez eux. Conserver la foi dans le peuple à cette époque était très difficile. Mais j’ai fait mon travail du mieux que je pouvais, et grâce à Dieu les fruits ont été nombreux. »

L’UCK cible Velika Hoca

Hélas, les beaux jours ne seront pas nombreux : Velika Hoca est dès 1998 au cœur des exactions de l’UCK. Les enlèvements sont quasi-quotidiens, en juillet 1998 on compte jusqu’à 100 disparitions dans la même semaine : « Partout où ils trouvaient des gens, ils les prenaient, comme on prend des poulets pour les emmener à l’abattoir… » Milenko voir ses fidèles souffrir l’inimaginable, et souffre avec eux. Aujourd’hui, quand on lui parle de cette époque terrible, il répond : « C’est impossible à raconter parce que c’est bien trop terrible pour être vraiment compris. Il faut l’avoir vécu… et encore, je crois que tous ceux qui l’ont vécu n’ont pas eu d’autre choix que d’oublier beaucoup de choses pour pouvoir continuer à vivre. »

À son arrivée, sa paroisse comptait neuf villages et un monastère. Aujourd’hui, elle se limite au seul village de Velika Hoca. Toutes les églises qui se trouvaient dans les autres villages ont été détruites, sauf, « par miracle », celle de Brnjača. « Je sais où elles se trouvent, et beaucoup dans le village s’en souviennent aussi. Même détruites, elles restent des sanctuaires vivants pour nous », dit Milenko, qui a consacré ces vingt dernières années à conserver et embellir les treize églises, la plupart vieilles de plusieurs siècles, qui se trouvent dans le village de Velika Hoca. « Nous faisons de notre mieux pour conserver ces églises que nous avons reçues de ceux qui sont venus avant nous et que nous laisserons à ceux qui viendront après. J’espère qu’à ma mort Dieu me dira seulement “Là où je t’avais placé, tu as continué, tu as fait grandir ce que je t’avais confié”, et qu’à cause de ça Il m’accordera la Vie éternelle », sourit Milenko.

En attendant la vie éternelle, toute l’équipe de Solidarité Kosovo souhaite au Père Milenko une belle retraite !