4 véhicules, 56 m3 de matériel, 47 ordinateurs, 8 Français, 1 Italienne : voici le carnet de bord de notre 10ème convoi humanitaire pour soutenir les enfants serbes du Kosovo-Métochie et leurs parents.
Samedi 26 décembre 2009
Partis à 18h30 de Grenoble, nous roulons dare-dare direction l’Italie afin d’y récupérer le produit d’une collecte.
Arrivés sur le coup des 21h dans la Cité Turinoise, nous chargeons plusieurs mètres cubes de vêtements et de jouets stockés par une association italienne : c’est aussi cela la solidarité européenne ! Une fois l’Autostrade regagnée, nous nous arrêtons le temps de nous restaurer et de finalement faire connaissance au sein de l’équipe : certains visages sont connus des uns ou des autres, mais c’est la première fois que nous sommes ainsi tous réunis.
Le repas achevé, les conversations vont bon train dans les cabines: études, comparaisons des réseaux autoroutiers, goûts musicaux, spiritualités européennes, les sujets sont éclectiques. Mais peu de temps après avoir repassé la cinquième vitesse, un des camions a beaucoup de mal à rester d’aplomb : crevaison ! Nous nous dirigeons résignés vers la première bretelle afin de palier à cette fortune de route. Tout en changeant la roue, nous commençons à douter du sérieux de l’entreprise à qui nous avons loué les véhicules: tiendront-ils jusqu’à Kosovska Mitrovica?
Finalement, après avoir réparé, nous nous orientons vers un lieu tranquille pour camper quelques heures : la tente plutôt que l’hôtel, il n’y a pas de petites économies chez SK !
Dimanche
Repartis au petit jour, nous passons au large de Padova (Padoue) vers 11heures. Lors de la pause, un esprit taquin nous fait remarquer que nous sommes neuf bénévoles durant cette mission. Neuf volontaires pour un long voyage au travers de contrées inconnues pour nombre d’entre nous. Neuf volontaires pour aller aider un peu leurs frères de l’autre bout de l’Europe. Ainsi nourris de sandwichs et de références littéraires, nous nous apprêtons à affronter les premières douanes de l’ex-Yougoslavie. Elles sont connues pour leur rigorisme quasi-soviétique demeuré intact depuis 1945…
Le temps commence à se faire long dans les véhicules.
Les équipages tournent pour éviter la lassitude, et les quelques CD emportés passent de camion en camion lors des arrêts: il en faut peu pour rester concentrés mais ce peu est indispensable.
Finalement, la frontière Croate se profile et nous nous préparons à découvrir l’administration, histoire de nous dire qu’en France nous ne sommes peut être pas les plus mal lotis.
Que les mauvaises langues s’abstiennent, il ne nous aura fallu qu’une heure d’arrêt avant de nous engager sur l’Autoroute Zagreb-Belgrade. Cela aide de parler la langue!
Quelques heures plus tard, il faut sortir de Croatie, chose plutôt aisée.
Le festival commence véritablement avec l’entrée sur le territoire de la République Serbe: fouille des cabines, liasses de documents à compléter, tampons et contre-tampons, puis finalement scellés sur le chargement. Ouf! Il ne nous aura fallu que cinq heures…
La nuit étant tombée depuis déjà un bon moment, les températures se faisant plus rudes, et les esprits plus las, nous prenons l’option « Motel » pour se reposer un peu, c’est à dire un lieu avec des chambres chauffées, et même des douches!
Le grand luxe en somme.
Lundi
La journée du Lundi se passe au rythme autoroutier, et en fin d’après midi, c’est en à peine 45 minutes que les douaniers Serbes nous laissent quitter le territoire. Ou plutôt, quitter le territoire qui est sous la juridiction de Belgrade. Quelques centaines de mètres plus loin, c’est au tour de la Gendarmerie Française (sous mandat de l’EULEX), armée mondialisée oblige, de nous contrôler pour rentrer dans l’ « Etat » du Kosovo. Sans plus d’encombre nous arrivons en début de soirée à Kosovska Mitovica, ville coupée en deux par un pont, ville symbole de la ténacité et des souffrances du peuple Serbe.
Nous nous installons dans un hôtel qui servira de base-arrière les jours suivants. Peu de temps après, les responsables locaux d’organisations caritatives nous rejoignent, afin d’organiser en lien avec les autorités la sécurité de notre séjour. En effet, des camions avec entre autre du matériel informatique à l’intérieur peuvent susciter convoitise et interrogations, et le contexte est tendu: la Police du Kosovo (KPS) nous fera escorter par une patrouille mi-serbe mi-albanaise.
Tandis que nous faisons honneur à la cuisine balkanique, des personnes aplanissent pour nous les méandres administratives, afin d’éviter un contrôle à chaque croisement de route.
Mardi
Premier jour de distribution dans les enclaves.
Alors que nous avions en têtes les images de missions précédentes effectuées dans la neige, le temps reste cette année doux et ensoleillé.
« Déjeunez bien, nous ne savons pas quand sera le prochain repas » nous recommande le chef de Mission. « Reçu terminé », nous nous exécutons consciencieusement, confiants que nous sommes en son expérience du terrain. – (non non, l’auteur n’a rien à se faire pardonner, pas plus qu’il ne vise une place quelconque dans l’association) –
Notre convoi se met en route et en ville nous rejoignons la patrouille du KPS qui nous accompagnera durant toute la journée. La première enclave visitée est celle de Banja, où nous sommes accueillis par un Ami serbe. Cet Ami nous accompagnera pendant deux jours durant lesquels sa connaissance des lieux et sa bonne humeur seront fortement appréciées.
Après le café et la « chlivo » d’accueil, nous procédons au début de la distribution. Les villageois se montrent heureux des présents que nous sortons des camions au fur et à mesure. Mais déjà, il est l’heure de se mettre en route pour une enclave voisine, Crkolez, où 10 de nos fameux ordinateurs seront déposés à l’école. Nous connaissons bien Crkolez puisque nous nous y rendons chaque année depuis quatre ans. C’est un plaisir de reconnaître les visages des enfants et d’être reconnus à notre tour.
Notre convoi étant plus important cette année, nous en profitons pour déposer du matériel dans de nouvelles enclaves, la première que nous découvrons est celle de Suvo Grlo. Avec Banja et Crkolez ces trois enclaves sont les derniers villages serbes qui restent à flanc de montagne dans les environs de Srbica à la limite entre le Kosovo et la Métochie.
Nous nous élançons ensuite vers un village tristement célèbre : Gorazdevac. Une vaste enclave de près de 2000 personnes qui avait défrayé la chronique en 2003 lorsque deux de ses enfants avaient été assassinés à l’arme automatique alors qu’ils se baignaient dans la rivière qui borde le village serbe. C’est la quatrième fois que nous nous rendons ici depuis 2004. La route étant longue, nous arrivons sur place aux alentours de 16 heures et c’est à la lampe que l’on terminera la distribution. Nous laissons à l’école ainsi qu’aux collectivités vingt ordinateurs. Dans cette enclave où se côtoient toutes les générations, notre chargement de ballons de sport est apprécié. Il faut dire que la Serbie est une grande nation du Basket-Ball: qui sait si un joueur de Gorazdevac ne sera pas un jour sélectionné en équipe nationale ? Le rêve est encore permis en Métochie et nous le partageons bien volontiers.
L’alimentation en électricité étant aléatoire, c’est encore à la lampe et la bougie que ceux d’entre nous ne conduisant pas dégustent une Rakija (sorte de marc de raisin) offerte par les anciens de Gorazdevac. Nous répondons à une interview de la radio serbe présente sur place.
Nous filons de nouveau sur la route, mettant cap sur Visoki Decani, monastère Orthodoxe chef d’œuvre d’architecture, protégé par des soldats italiens. C’est au checkpoint que la patrouille du KPS nous laisse, les agents devant regagner leurs casernements respectifs.
L’accueil des moines est très chaleureux, nous déposons ici du matériel qui sera redistribué à d’autres enclaves serbes que nous n’avons malheureusement pas le temps d’aller voir durant notre courte mission. Depuis le retrait forcé de l’administration serbe du Kosovo l’église joue un grand rôle dans la récolte et la distribution d’aide humanitaire. Nous nous appuyons donc nous aussi sur ce solide réseau. Après un diner apprécié, nous sommes reçus par des frères parlant anglais. Ainsi, chacun aura pu réviser ses English lessons, l’air de rien. Il est vrai que les données géopolitiques, spirituelles, ainsi que les anecdotes de la Communauté de Decani sont autrement plus attrayantes que des poncifs à type de Brian is in the kitchen and my umbrella is forgotten…
Mercredi
Les plus matinaux d’entre nous débutent la journée à 06h45 en se rendant à l’office chanté par les moines. Puis nous assistons tous à la Liturgie d’une Messe Orthodoxe. Croyants ou non, tous les membres de notre éphémère Communauté sont touchés par la beauté des chants de l’éternelle Communauté monastique. Après l’Office, un pope nous offre une liqueur de cerise, le temps de discuter, cette fois ci en Serbe avec l’aide de ceux d’entre nous en possédant les subtilités.
Le petit-déjeuner (consigne retenue, chef!) est suivi d’une visite de l’église et du cloître. Après la ferme, garante de la quasi suffisance alimentaire des moines, nous effectuons un tour dans des ateliers où les frères composent des icônes. Passage obligé dans un monastère orthodoxe, ce crochet culturel et artistique nous impressionne, tant par le résultat final que par l’application et la patience que nous voyons développées par chaque peintre.
Nous laissons aux bons soins des frères encore plusieurs mètres cubes de vêtements ainsi que des ordinateurs: ils en assureront une répartition équitable dans les villages serbes avoisinants.
Mais il est déjà temps de s’orienter vers Orahovac, enclave située en partie haute de la ville complètement albanisée du même nom. Assurément, les coteaux de vigne alentours offrent un contraste saisissant. Nous déposons entre de bonnes mains des équipements pour l’équipe de football, ainsi que de nombreux matériels scolaires et vêtements. L’accueil des ces modestes dons par les enfants est très émouvant. Dans leurs yeux et leurs sourires, nous trouvons la raison de notre voyage, et la motivation pour repartir vaille que vaille vers le prochain village serbe des environs. En effet, ce ne sont pas les cahiers ni les maillots de sport qui sont vraiment primordiaux. Ces matériels sont indispensables, mais plus encore, c’est le soutien de quelques jeunes Français, porte-parole de tous les donateurs, qui compte pour ces Serbes, résistants du quotidiens. Et ce ne sont pas là des mots vains: à quelques mètres d’une église défigurée, nous voyons plusieurs rangées de maisons brûlées. Dans cette rue qui descend vers la majeure partie de la ville, des maisons de familles serbes ont été pillées et incendiées, par les « libérateurs » de l’UCK ou leurs sbires. Dommages collatéraux sûrement.
Nous nous rendons ensuite au village de Velika Hoca qui est à environ 10 minutes d’Orahovac. Ici pourtant la situation semble plus calme. On ne se sent pas dans un ghetto comme à Orahovac où les barbelées sont toujours en place. Velika Hoca est un magnifique village viticole comportant 13 églises, des maisons traditionnelles et une place où des dizaines d’enfants jouent quotidiennement. Un village sans doute bien plus tranquille que certains quartiers de France si l’on fait abstraction du fait que nous sommes ici comme dans une prison à ciel ouvert de laquelle on ne peut sortir sans escorte militaire. Le matériel est rapidement déposé grâce à l’aide des parents et des enfants. Certaines jeunes filles de notre équipe en profitent même pour sympathiser avec les plus petits qui, il est vrai, nous attendrissent fortement.
La journée s’achève, ou presque, lorsqu’un soldat autrichien nous ouvre la barrière du monastère qu’il garde : Zociste. Là, un moine nous fait admirer l’église qu’ils ont reconstruite à l’identique, suite aux pogroms anti-serbes de 2004.
Dans la soirée, nous redéposons à Banja notre Ami serbe, non sans lui avoir offert en remerciement quelques bouteilles de champagne français.
Jeudi
Notre matinée est consacrée à une conférence de presse pour plusieurs radios et télévisions serbes. Nous découvrons ainsi que l’action de Solidarité-Kosovo, -Solidarnost Kosovo- a un impact positif certain auprès des populations du Kosovo mais aussi de Belgrade.
Nous partons en fin de matinée pour la région de Gracanica: un canton de 23000 personnes, en majorité des Serbes, mais aussi des Tziganes et des Albanais – Notez de quel côté se trouve la tolérance –. La vie s’y organise tant bien que mal.
Reçus par les autorités locales, nous rendons visite à des habitants vivant depuis dix années dans des containers. Le climat psychologique de ce bidonville est dur, nous y laissons jouets et vêtements, ainsi que des chocolats. Après avoir donné quelques jeux à une maison pour personnes handicapées, nous confions à une association municipale une cargaison de jouets, vêtements et d’ordinateurs. À charge pour elle de redistribuer ces dons.
Rentrés le soir sur Kosovska Mitrovica, nous nous mêlons aux Serbes dans la Rue pour l’An neuf. Pétards et feux d’artifices étaient de rigueur, mais à minuit ce sont d’autres sons qui ont retentis de part et d’autre du fameux pont: des coups de kalachnikov sont tirés en l’air, c’est paraît-il une tradition dans cette contrée agitée. Auprès du pont, aux pieds d’un monument aux Morts dédié aux défenseurs Serbes de la ville, une dizaine de jeunes scandent Srbja, Srbja! (Serbie, Serbie). Plus tard, c’est un autre groupe de jeunes gens et jeunes filles que nous croisons: ils entonnent des chants patriotiques serbes.
Vendredi
Dans la matinée nous donnons à l’association humanitaire serbe Spas du matériel scolaire, des vêtements, ainsi que quelques jeux. Ils seront distribués aux plus nécessiteuses familles serbes de Kosovska Mitrovica.
Nous prenons la route vers treize heures après avoir chaleureusement salué tous ceux qui nous ont épaulé sur Kosovska Mitrovica. Au poste frontière pour sortir du Kosovo, les douaniers du cru nous laissent passer après vérification des passeports, mais la Police française nous arrête et fait ouvrir les véhicules. Une heure plus tard, une fois les documents analysés et vérifiés, nous pouvons repartir. La douane Serbe ne pose pas de problème, les camions étant vides.
Nous avançons tant bien que mal dans l’ex-Yougoslavie, de nombreux problèmes mécaniques nous obligeant à nous arrêter régulièrement. Nous passons la nuit dans les camions sur une aire d’autoroute croate.
La journée se déroule bien, avec de la neige rencontrée vers midi, mais sans dommage.
Finalement, c’est après avoir franchi les Alpes que nos véhicules de location font à nouveau des leurs. Nous allons perdre plusieurs heures car les deux roues arrières de l’un de nos camions commencent à prendre feu. Les câbles de frein à main étaient en effet tellement grippés qu’avec le froid soudain côté français, les mâchoires de freinages se sont bloquées faisant ainsi chauffer puis rougir les disques de freinages !
Finalement, après avoir fait réparer, nous arrivons à l’aube du Dimanche 3 Janvier 2010 sur Grenoble, exténués mais heureux d’avoir soutenu matériellement et moralement un peuple européen dont l’esprit de résistance n’a d’égal que la richesse de sa culture que nous avons eu la chance de découvrir. Un peu démoralisés d’être déjà de retour en France nous nous préparons à reprendre le travail ou les examens dès le lendemain 8h00 !
C’était le carnet de bord de neufs jeunes Européens qui avaient décidé de prendre de leur temps et de leur argent pour venir en aide à une population serbe abandonnée de tous. Ce dixième convoi humanitaire restera graver dans la courte histoire de Solidarité Kosovo par sa taille et son intensité. Nous tenons à remercier tous les donateurs qui depuis 2004 nous permettent d’acheminer toujours plus d’aide sur place.
Chaleureuses salutations aux neuf bénévoles de cet Hiver 2009 !
Rémi Chabert