Un peu de bonheur dans les enclaves serbes du Kosovo

Il est 19h, notre équipe de bénévoles s’élance dans sa longue mission annuelle pour aider les Serbes du Kosovo et de la Métochie. La route est longue, nous la connaissons par cœur. Ceci-dit les années se suivent et ne se ressemblent pas. Cette année nous partons en effet avec 36m3 de vêtements, jouets neufs et matériel de sport donné par nos amis de France, de Belgique et, pour la première fois, d’Italie. C’est le plus grand convoi jamais organisé par Solidarité Kosovo.

Comme chaque année nous avons perdu beaucoup de temps aux frontières. Les paperasseries administratives, un véhicule défectueux (surnommé « culbuto »), nous ont retardé… Nous arrivons finalement, éreintés après 40 heures de route, chez nos amis de Kosovska Mitrovica. Comme d’habitude nous sommes accueillis en véritables héros, même si pour nous, les héros, ce sont eux.

Quelques jours avant le départ, nos amis de Kosovska Mitrovica nous avaient annoncé qu’ils avaient ouvert un club de boxe (full contact) qui regroupe 70 jeunes plusieurs fois par semaine.  Ils avaient encore besoin de quelques paires de gants et de paos pour aider le club à s’équiper. En moins d’une semaine, grâce à nos nombreux amis, nous avons réussi à leur apporter non seulement plusieurs paires de gants, des paos, un sac de frappe mais aussi un ring complet de boxe de 25m² ! Inutile de dire que nous avons fait des heureux !

Le lendemain de notre arrivée, nous partons pour le reste de la mission dans les enclaves serbes des zones majoritairement peuplées par les Albanais. La situation semble calme mais nos amis serbes nous recommandent quand même de demander une escorte policière… D’autre part, le gouvernement albanais du Kosovo a installé une « frontière » entre la partie nord de Kosovska Mitrovica (serbe) et la partie sud (albanaise). Si nous ne voulons pas rester bloqués des heures durant, il nous faut une autorisation de Pristina pour amener de l’aide aux populations serbes. Mission impossible. Après plus de 4 heures d’attente nous décidons de franchir le pont aidés d’un policier du KPS serbe. Cela fonctionne et nous arrivons enfin dans la partie sud de la ville. L’immense zone albanaise du Kosovo nous est ouverte, mais nous nous passerons d’escorte policière.

Avec notre ami et guide local Pajo, nous allons tout droit à Crkolez. Là nous attend une petite communauté serbe de 80 personnes qui cultivent la terre ou qui travaillent dans l’école du village. Nous sommes bien reçus par le Directeur de l’école qui nous remercie pour les jouets et le matériel scolaire déposé. Son vœu pour l’année prochaine ? Recevoir du matériel informatique. Nous prenons acte de sa demande, ces enfants ne peuvent pas grandir en marge du XXIème siècle.

En ce temps hivernal, la nuit se couche tôt et nous voulons arriver à notre prochaine destination avant qu’il n’y ait plus personne sur les routes…

19h : nous arrivons au monastère de Visoki Decani, perle médiévale de la Serbie, où nos amis les moines nous attendent pour le dîner. A leurs portes les soldats italiens lourdement armés protègent cette enceinte des attaques albanaises. L’accueil dans ce monastère eut quelque chose de réellement surnaturel. Les moines vivent ici en quasi autarcie, à flanc de montagne. Ce lieu est tout simplement en dehors du temps.

Nous sommes en pleine période de Noël orthodoxe mais les moines nous accueillent comme si nous étions des hôtes de marque. Nous avons le privilège d’assister à la liturgie matinale, liturgie qui berce cette région depuis plus de 800 ans et qui pénètre l’âme comme un glaive ardent. Croyant ou non, aucun membre de notre équipe n’est resté indifférent à cette nuit passée dans le monastère. Avant de partir nous laissons aux moines 12m3 de vêtements neufs qu’une grande société de textile français nous avait donnés. Les moines sont comblés et doivent même se mettre à plusieurs pour nous aider à tout faire rentrer dans le monastère, ce qui assure de bons moments de franche rigolade avec nos hôtes serbes.

Nous passons la nuit dans le monastère puis nous repartons tout de suite après le petit déjeuner pour l’enclave de Velika Hoca. Cette enclave, la plus isolée de la région, est en plein milieu du Kosovo. Ici vivent 700 personnes. Le village, l’un des plus beaux du Kosovo Métochie (13 églises et monastères, maisons pluriséculaires construites en pierre) est relativement grand. Si l’on n’y prend garde, on pourrait se penser dans un village typique de la Serbie centrale. Mais le Bunker de la KFOR qui surplombe la cour de récréation nous ramène à la sombre réalité. Nous sommes dans une enclave serbe, l’une des plus dangereuses du Kosovo Métochie.  Le Directeur d’école et le prêtre du village nous accueillent à bras ouverts et nous commençons la distribution de nombreux jouets et vêtements aux enfants et jeunes adolescents. Ballons, baby-foot, peluches, frisbees… La cour de récréation de l’école ressemble vite à un lendemain de Noël avec les enfants criant, chantant et jouant dans tous les coins avec leurs nouveaux jouets. Nous en profitons pour filmer la scène afin que tous les généreux donateurs de Solidarité Kosovo puissent se rendre compte de la joie que leurs dons procurent à ces enfants qui vivent dans les zones les plus dangereuses d’Europe et qui peuvent être attaquées à tout moment. 
La spécialité de Velika Hoca est la vigne. Nous ne pouvons refuser la visite d’une cave et une petite dégustation avant de reprendre la route pour notre prochaine étape : Orahovac.

A Orahovac, nous distribuons encore des jouets et des vêtements à un responsable de l’école et aux jeunes enfants qui nous attendent, nous aidant même à décharger le matériel. Le responsable de l’enclave nous dit que le climat est plus calme en ce moment et que les Serbes peuvent se rendre dans la partie albanaise voisine plus facilement. Mais il n’oublie pas que la situation était la même en mars 2004 à la veille du dernier pogrom antiserbe… Orahovac ressemble vraiment à un ghetto. Certains appellent d’ailleurs ce village « le ghetto serbe d’Orahovac ». 300 Serbes vivent sur les hauteurs et 10 000 Albanais vivent en dessous. En repartant d’Orahovac, nous traversons la partie albanaise et nous voyons des affiches « I love USA » placardées sur tous les murs de la ville. Plus loin, la mosquée wahhabite comporte une plaque où il est inscrit « financée par l’ARABIE SAOUDITE ». D’un village chrétien européen enclavé nous arrivons dans un pays musulman américain.

Nous visitons beaucoup d’enclaves cette année et fort heureusement les routes sont plutôt correctes. Le convoi ne rencontre pas trop de neige contrairement à l’année précédente. Nous partons pour le village de Banja. Banja est une enclave que nous aimons bien. Il y a beaucoup de tous petits enfants et nous nous y arrêtons chaque année. Le soleil commence à pointer ses derniers rayons de lumière sur le clocher de l’église quand tous les enfants (une cinquantaine) arrivent massivement sur le terrain de foot pour recevoir leurs cadeaux. Parents et grands-parents les accompagnent et nous remercient avec émotion de ne pas avoir oublié l’ancienne alliance entre les peuples français et serbe.

Notre mission sur les enclaves touche à sa fin. Nous faisons un rapide bilan du travail accompli ces derniers jours :

– 36 m3 de matériel déposé
– 10 jours de missions depuis notre départ de France
– Sept enclaves desservies: Crkolez, Visoki Decani, Velika Hoca, Orahovac et Banja. Une enclave proche de Gracanica recevra notre aide par l’intermédiaire de l’association humanitaire locale « Spas » à qui nous avons laissé plusieurs m3 de matériel. Le club de boxe de  Kosovska Mitrovica est enfin équipé à la hauteur de ses ambitions.

Nous rentrons tranquillement à Kosovska Mitrovica très satisfaits de notre voyage. Nos contacts locaux et notre expérience nous font penser que nous commençons à devenir de véritables « professionnels ». Nous distribuons toujours plus en des temps record. Optimistes, il nous semble même que nonobstant plusieurs contrôles de polices côté albanais, le climat est plus calme cette année que les années précédentes. Mais nous n’étions pas encore arrivés à Kosovska Mitrovica…

L’arrivée sur la grande ville septentrionale du Kosovo et de la Métochie va nous ramener brusquement à la situation réelle que vivent les populations locales.

En arrivant sur le pont qui traverse l’Ibar et qui sépare symboliquement les communautés albanaise et serbe nous tombons sur des policiers du Kosovo et une rangée impressionnante de  soldats de la KFOR en tenue de combat qui nous interdisent de franchir le pont. « Go back, the bridge is closed ! There is a very big problem !! » Que se passe-t-il ? Le soldat que nous avons comme interlocuteur n’est vraiment pas prolixe et prend quasiment lui-même le volant de notre premier véhicule afin de nous faire rebrousser chemin. Nous voilà donc coincés côté albanais. Nous appelons une amie serbe qui nous explique que des Albanais viennent de poignarder un jeune Serbe, ce qui a provoqué une émeute de Serbes dans la petite partie musulmane du nord de la ville, « Bosnjacka Mahala », où des magasins albanais ont été incendiés et dévastés. Grâce à nos contacts locaux et malgré la fermeture du pont nous réussissons quand même à rejoindre le nord de la ville.

Nous garons nos véhicules et allons voir la ville. Les rues sont désormais désertes, les patrouilles de la Kfor sont incessantes et des hélicoptères volent à basse altitude au-dessus de nos têtes. L’ambiance est sinistre et une odeur de brûlé infeste la ville. La réalité du Kosovo et de la Métochie nous rattrape.

Le surlendemain une partie de l’équipe rentre en France tandis que l’autre, restée sur place, en profite pour aller à l’hôpital visiter le jeune Serbe blessé par des Albanais. Nous lui offrons de nombreux cadeaux achetés sur place ainsi que du  champagne français. Tout souriant le jeune Nikola nous accueille les bras ouverts et nous remercie de nos efforts pour le peuple serbe. La télévision serbe est sur place et immortalise la rencontre. Penser qu’il y a quelques heures à peine, ce jeune homme aurait pu être la dernière victime d’extrémistes rêvant d’éradiquer le Kosovo de toute présence serbe glace le sang. C’est d’autant plus émouvant que ce jeune ne se laisse pas émouvoir. Dès qu’il sortira de l’hôpital il reprendra sa vie « normale ».

          Dragan Ninkovic